Entre 2006 et 2015, le gouvernement Harper a déposé plusieurs projets de loi qui ont réformé le système pénal canadien et qui se sont traduit par un durcissement des peines. Cependant, à la suite de l’adoption de ces projets de loi, plutôt que de voir les crimes diminuer, ceux-ci ont connu une légère hausse. Pourtant, lorsqu’une personne commet un crime et qu’elle est punie pour cela, la pertinence de cette sanction est rarement remise en question. Le recours à la peine est normalisé car le système de justice actuel repose sur une logique pénale. La justice transformatrice s’empare de cette réflexion et propose une autre manière de rendre justice.
La punition engendre de la souffrance et perpétue la violence
Dans le système de justice actuel, les objectifs de la détermination de la peine sont issus des théories pénales développées depuis le XVIIe siècle. Parmi ces objectifs se trouvent la dénonciation, la dissuasion, la rétribution ainsi que la réhabilitation. Pour parvenir à les appliquer, le Code criminel prévoit également la possibilité « d’isoler, au besoin, les délinquant[.e.]s du reste de la société ». Dans les faits, cet isolement se traduit plutôt par une stigmatisation des personnes qui ont fait un passage dans le système carcéral que par un simple retrait temporaire. Cette mise à l’écart engendre alors une dissociation entre la violence commise et le reste de la société. Par cette distanciation, nous « échouons à voir comment nous contribuons aux conditions qui permettent à la violence de se produire », comme si celle-ci n’était attribuable qu’à la responsabilité individuelle. Cette distance rend légitime la punition qui perpétue elle-même les cycles de violence. La justice transformatrice se veut une rupture de ces cycles de violence.
Briser les cycles de violences
La justice transformatrice est généralement associée aux mouvements abolitionnistes pénaux. Ceux-ci dénoncent le recours à la punition comme manière de faire justice puisqu’en engendrant de la souffrance, punir revient à perpétuer la violence. À l’inverse du système de justice criminelle classique, l’objectif principal de la justice transformatrice n’est pas de punir des coupables mais de mettre fin à la violence. L’idée de crime, c’est-à-dire un comportement simplement interdit par la loi, est alors délaissée. Les termes de blessure ou encore d’agression lui sont préférés puisqu’ils réfèrent à des situations où des violences sont subies. Les objectifs de la justice transformatrice sont alors la réparation et la transformation dans le but de rompre les cycles de violence. Dans cette optique, elle suppose d’adopter une approche holistique, c’est-à-dire globale, qui prend en compte le contexte social dans lequel se déroulent les violences. Davantage qu’un processus dichotomique opposant coupable et victime, le processus de justice vise une transformation radicale des conditions qui ont engendré la violence. Pour arriver à briser les cycles de violence, la communauté doit être consciente des systèmes d’oppression multiples qui l’investissent. Elle est donc invitée à travailler sur ces conditions afin d’éviter que ces situations ne se perpétuent, que ce soit au niveau interpersonnel ou à l’échelle du groupe entier.
Une forme de justice par et pour la communauté
L’idée de responsabilité communautaire est un concept utilisé dans le cadre de la justice transformatrice afin de complexifier l’idée de la responsabilité individuelle. En effet, le groupe dans son ensemble est tenu d’empêcher les comportements violents. Tou.te.s doivent travailler à ce que les conditions sociales au sein de la communauté enrayent la violence. Le travail de la justice transformatrice concerne donc non seulement l’agresseur.euse et la personne survivante, mais aussi le reste des membres de la communauté. D’ailleurs, les termes de survivant.e plutôt que victime, et d’agresseur.euse ou auteur.e plutôt que coupable ou criminel.le sont préférés.
Les besoins de la personne survivante doivent aussi être au cœur du processus. Contrairement à la procédure judiciaire classique, la justice transformatrice ne cantonne pas la personne survivante dans un rôle de témoin. En plus d’assurer sa sécurité psychologique et physique, la justice transformatrice soutient son agentivité, c’est-à-dire son pouvoir de décider et d’agir. D’autre part, plutôt que d’exclure l’agresseur.euse, la justice transformatrice favorise sa responsabilisation en l’impliquant pour faire changer son comportement. Bien que l’agresseur.euse ne soit pas considéré.e comme étant la seule personne responsable de l’acte de violence, la reconnaissance de sa responsabilisation, de ses actes et de leurs conséquences est décisive à l’aboutissement du processus de justice.
Contrairement au système de justice pénale classique, les pratiques de justice transformatrice ont lieu en dehors du cadre étatique, d’une part parce que les institutions de l’État sont considérées comme perpétuant des formes de violences, d’autre part parce que l’idée de la délégation de la gestion des conflits à une tierce personne est rejetée. C’est une forme de justice par et pour la communauté elle-même, basée sur un principe d’autogestion.
Les exemples les plus aboutis de justice transformatrice se retrouvent au sein des communautés marginalisées, voir pénalisées, comme les communautés queer, racisées, les travailleuses et travailleurs du sexe ou encore les personnes sans-papiers. Puisque les lois de l’État interdisaient et punissaient leur existence, faire appel à la police ou aux juges pour régler les conflits n’étaient pas envisageable. De nouvelles manières de faire justice au sein de la communauté ont donc émergé. Aujourd’hui encore, c’est dans ces milieux communautaires, où l’accès au système judiciaire est restreint, que fleurissent des formes de justice transformatrice. Même si cette nouvelle forme de justice a été créée par nécessité dans ces groupes, elle amène à interroger le système pénal étatique dans son ensemble.