Quand le road trip vers l’ovule se complique

Ariane Lapointe-Belleau

Étudiante à la maîtrise en médecine moléculaire, Université Laval

Quand le road trip vers l’ovule se complique

Ariane Lapointe-Belleau

Étudiante à la maîtrise en médecine moléculaire, Université Laval

Un spermatozoïde doit parcourir une longue distance pour se rendre à l’ovule et permettre la fécondation. Pourquoi est-ce que, dans certains cas, les spermatozoïdes n’arrivent pas à avancer suffisamment? Depuis quelques années, l’équipe du Dr Pierre Leclerc du Centre de recherche du CHU de Québec tente de comprendre les mécanismes qui déterminent si les spermatozoïdes seront motiles ou non. Certaines protéines importantes sont présentes en plus grande quantité dans les spermatozoïdes qui n’arrivent pas à avancer. Ce serait d’ailleurs le cas de la protéine STAT3. Mieux comprendre le fonctionnement de cette protéine pourrait permettre de déceler l’infertilité et d’améliorer les techniques de fécondation in vitro pour offrir aux couples infertiles de meilleures options.

La route vers la procréation semble simple, mais est parfois semée d’embuches. Dans le monde, 15% des couples souffrent d’infertilité, c’est-à-dire qu’ils tentent, sans succès, d’avoir un enfant depuis plus d’un an. Les spermatozoïdes sont en cause dans 20% à 70% des cas. Tout comme pour une voiture, plusieurs pièces peuvent être défectueuses et influencer l’efficacité du déplacement. Si certaines pièces, ou protéines, ne sont pas fonctionnelles ou sont au mauvais endroit, cela peut empêcher les spermatozoïdes de bien avancer compliquant ainsi la fécondation.

Le voyant du check engine allumé

Lorsque l’une des pièces du moteur d’une voiture cesse de fonctionner ou est mal installée, une petite lumière va s’allumer au tableau de bord : ce fameux check engine. À ce jour, aucun indicateur n’est connu pour révéler un problème de motilité chez les spermatozoïdes. Un tel outil pourrait être utilisé en clinique afin de simplifier les diagnostics chez les couples tentant de procréer. Pour identifier cet indicateur, il faut d’abord étudier des protéines importantes dans le fonctionnement des spermatozoïdes, comme c’est le cas pour STAT3.

Il a récemment été montré que STAT3 peut être transporté jusqu’à la mitochondrie, laquelle est une source importante d’énergie. C’est en quelque sorte la mitochondrie qui produit l’essence nécessaire au fonctionnement du moteur du spermatozoïde. STAT3 serait donc impliquée dans cette production d’énergie via des mécanismes encore peu compris. Puisque cette protéine est importante pour la production d’énergie, on pourrait rapidement conclure que plus on en a, mieux c’est. Plus de production d’essence devrait vouloir dire que le moteur fonctionne plus activement, n’est-ce pas? 

Pourtant, c’est tout le contraire qui est observé en clinique. STAT3 est observée en plus grande quantité dans les spermatozoïdes qui n’arrivent pas à avancer suffisamment. Quoique peu intuitive, une différence si importante entre des spermatozoïdes normaux et d’autres qui bougent peu ou pas indique que STAT3 joue un rôle très important dans la motilité et la fertilité. En se basant sur ces différences, STAT3 pourrait devenir un indicateur efficace d’infertilité masculine. Il reste maintenant à comprendre pourquoi de telles différences existent. 

La chaîne de montage

Pourquoi une protéine aussi importante que STAT3 est-elle présente en plus grande quantité dans des spermatozoïdes qui n’arrivent pas à compléter leur voyage jusqu’à l’ovule? En fait, cela peut s’expliquer par les différentes étapes de construction d’un spermatozoïde. Pour être complété, le spermatozoïde doit perdre une quantité importante de ses protéines, dont STAT3. Ainsi, seuls les spermatozoïdes immatures resteront avec une grande quantité de STAT3. D’ailleurs, la présence de spermatozoïdes immatures chez un homme est associée à une plus faible motilité totale, ce qui risque donc de causer de l’infertilité.

Pour obtenir un spermatozoïde mature et fonctionnel, la cellule de départ immature devra subir plusieurs changements. Cette cellule, de forme ronde, a les outils nécessaires pour lire son ADN. Comme lorsqu’on lit un manuel d’instruction, la cellule saura comment assembler les matériaux nécessaires pour former les pièces importantes du spermatozoïde comme les protéines. STAT3 est d’ailleurs reconnue comme étant l’un de ces outils importants. Une fois que toutes ses pièces sont assemblées, la cellule peut passer à la prochaine étape de sa chaîne de montage. 

Elle doit ensuite modifier sa forme afin de construire un flagelle, soit la queue du spermatozoïde. Cette queue est ce qui lui servira de moteur. Le flagelle étant une longue pièce allongée et très mince, la cellule de départ se retrouvera avec du matériel en trop. Ce changement de forme l’oblige donc à se débarrasser d’une grande partie des protéines qu’elle contenait, dont STAT3. Également, en changeant de forme, l’ADN de la cellule sera condensé. Un peu comme si on chiffonnait le manuel d’instruction, la cellule ne saura plus comment construire de nouvelles pièces. Il faut donc que la maturation de la cellule soit parfaitement synchronisée et complétée afin d’obtenir un spermatozoïde fonctionnel. 

Figure 1. En maturant, les spermatozoïdes perdent une grande partie de leurs protéines, dont certains outils qui, comme STAT3, sont importants pour la production de nouvelles protéines.

La cellule, lors de son assemblage, n’a donc pas le droit à l’erreur. En effet, elle doit pouvoir produire suffisamment d’essence, ce qui implique donc d’avoir suffisamment de mitochondries. Elle doit, de plus, avoir un seul moteur, donc un seul flagelle capable de bouger. Elle doit aussi se débarrasser de toutes les pièces et tous les outils qui ne seront plus nécessaires une fois que le spermatozoïde est formé, puisqu’on remarque qu’en présence d’une plus grande quantité de STAT3, les spermatozoïdes sont moins performants. Cette chaîne de montage, lorsqu’elle n’est pas bien complétée, peut donc mener à l’infertilité. 

Plusieurs techniques de fécondation in vitro sont disponibles pour les couples, mais elles imposent toutes différents traitements hormonaux à la personne ayant un ovule. Aucune option visant à rétablir la fonction des spermatozoïdes n’est à ce jour offerte. Cette découverte montrant l’importance de STAT3 permet d’avancer dans la quête d’un marqueur de l’infertilité masculine, mais aussi d’un possible traitement. Au lieu de remorquer le véhicule, un tel traitement pourrait permettre de simplement redémarrer le moteur des spermatozoïdes et de permettre une fécondation naturelle.

Ariane Lapointe-Belleau

Ariane est actuellement étudiante à la maîtrise en Médecine moléculaire à l'Université Laval. Son projet de recherche consiste à élucider les mécanismes qui permettent aux spermatozoïdes de bien bouger. La motilité est nécessaire pour la fécondation, et une meilleure compréhension de ce sujet permettra de développer de nouvelles méthodes de fécondation in vitro ou même de contraception masculine. Même si elle est passionnée de recherche, elle est également une fille de plein air et passe la majorité de son temps libre avec ses chevaux.

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