Portrait de Montréal à l’aube de sa modernité

Joël Beauchamp-Monfette

Étudiant à la maîtrise en histoire

Portrait de Montréal à l’aube de sa modernité

Joël Beauchamp-Monfette

Étudiant à la maîtrise en histoire

En 1800, Montréal est à l’aube d’un changement définissant son cadre urbain. Derrière son enceinte fortifiée, une administration municipale naissante tente tant bien que mal de gérer un espace urbain sale et complexe. Malgré tout, une promenade dans les rues montre que des loisirs animent la vie quotidienne de la petite population citadine. Dans les décennies qui suivent, le visage de la ville se modernisera à toute vitesse. Voici ici un portrait de la ville en l’an 1800, juste avant qu’elle ne connaisse ces bouleversements.

Les cônes orange des dernières années à Montréal font pâle figure face au potentiel perturbateur des travaux qu’a connu la ville il y a 200 ans. Entre 1800 et 1825, les bases de la ville moderne commencent à s’établir. En 1800, la bourgade de Montréal se trouve au croisement entre une ville d’Ancien Régime et une ville moderne.

Un espace commercial fortifié

Loin d’être l’importante métropole actuelle, Montréal compte environ 9000 habitants au début du XIXe siècle et est limité à ce qui constitue aujourd’hui le Vieux-Montréal. La ville est entourée d’une enceinte fortifiée, formant un quadrilatère des actuelles rues de la Commune, McGill, Saint-Jacques, du Champ-de-Mars et le Square Dalhousie. À l’intérieur de ces murs, des bâtiments en pierre hébergent une population canadienne et britannique depuis l’arrivée des loyalistes. Au-delà des murs se trouvent deux petites rivières à traverser avant d’arriver dans l’un des six faubourgs situés près des portes de la ville. Moins réglementés que la ville, les faubourgs sont bâtis de bois et comptent une population plus pauvre étant constituée en grande partie d’agriculteurs et de plus en plus d’artisans.


Figure 1 : Plan montrant la présence des deux petites rivières entre la bourgade et les faubourgs. (Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM066-3-P003).

Porte d’entrée vers l’intérieur du continent, Montréal sert de centre de ravitaillement pour le développement du Haut-Canada et pour les expéditions commerciales vers l’Ouest canadien. Les grands barons de la fourrure constituent une part importante de l’activité commerciale locale et des emplois journaliers l’été puisque le fleuve est gelé l’hiver. La ville ne comporte qu’un seul marché à proprement parler, soit la minuscule place royale actuelle qui ne convient plus depuis longtemps en 1800. Elle sera remplacée, dans trois ans, par le Marché-Neuf à la suite d’un incendie qui décimera le quartier ouest. En l’absence de toute forme d’aqueduc avant 1801, les incendies constituent une préoccupation constante pour les autorités, ce qui oblige, dès le XVIIIe siècle, les citoyens à utiliser des matériaux ininflammables pour les bâtiments. Ces teintes de gris de la pierre et des toitures en fer blanc donnent à la ville un aspect morne et lourd fréquemment critiqué par les visiteurs.

Un dépotoir à ciel ouvert

En 1796, l’Acte des chemins donne à la ville une administration municipale locale au moyen des juges de paix. Le Gouverneur les nomme parmi les élites locales et ils se rencontrent en « Sessions spéciales de la paix », soit des rencontres régulières visant à administrer et réguler la ville. Ils sont aidés par l’inspecteur des chemins et ses assistants, qui sont les bras de l’administration municipale sur le terrain. La police est limitée par les moyens disponibles à l’administration. La ville dispose en 1800 d’un budget de £512, ce qui correspond à moins de 50 000$ aujourd’hui. Provenant des taxes sur les tavernes, les chevaux et les propriétés, ce montant sert principalement à payer l’inspecteur des chemins et les matériaux nécessaires au pavage des rues. Les travaux publics sont essentiellement exécutés par les habitants, notamment par la corvée. Chaque habitant a le devoir de nettoyer et d’entretenir la rue devant chez lui l’été et de taper la neige au centre de la rue l’hiver.


Figure 2 : Les deux rues parallèles au fleuve, Saint-Paul et Notre-Dame sont les plus importantes de la Ville. (Archives de Montréal. CA M001 VM066-2-P004).

En l’absence d’égouts et de collecte de déchets, la ville est sale et il est difficile d’y circuler. Les habitants ont la responsabilité de disposer de leurs ordures en les jetant dans le fleuve, la petite rivière ou le marais. Ces étendues d’eau deviennent l’été de véritables dépotoirs à ciel ouvert. Pour y remédier, l’administration municipale emploie parfois des tombereaux pour nettoyer les immondices des rues au printemps. Les rues ont parfois un trottoir de bois, mais elles sont majoritairement faites de terre et de débris de construction à l’exception de Notre-Dame et Saint-Paul considérant qu’elles sont les deux artères principales de la ville. Les mares d’eau et la boue font partie du quotidien urbain. L’agriculture n’a pas encore quitté la ville avec des cochons, des chevaux et des vergers étant toujours présents entre les murs de la ville. La circulation dans les rues, mesurant parfois moins de trois mètres de largeur, est gênée par les enseignes ornant les portes et les tas d’ordures. Au printemps et à l’automne, les rues sont fréquemment boueuses ou inondées et ne sont proprement praticables qu’à pied. Dans cette ville à l’échelle humaine, tout est rapproché pour permettre aux piétons d’atteindre autant les différents points d’eau que les lieux de loisirs.

Les activités au quotidien

Le calendrier agroliturgique rythme les activités de loisirs avec une moins grande emprise à la ville où les activités sont plus variées qu’à la campagne. Les promenades dans les jardins et le long du fleuve sont un plaisir des soirs d’été et celles en calèche dans les rues le sont tout autant l’hiver. Bien que les cabarets et les tavernes soient populaires, la danse est l’une des activités les plus appréciées par les citoyens. De même, les citadins sont nombreux à profiter du théâtre, de la musique et de la lecture de la Gazette de Montréal, soit l’unique périodique de la ville. L’ensemble de ces activités offre l’opportunité de se distinguer par un code vestimentaire reflétant la classe sociale du citadin.

Les lieux de loisirs partagent la ville avec les bâtiments militaires et religieux, qui occupent une place importante en 1800. Hormis les fortifications, la Citadelle domine en hauteur la ville du haut de sa colline et la Place d’Armes est le théâtre où se déroulent fréquemment des parades militaires. De même, les principales communautés religieuses dans la ville occupent les lots les plus importants avec six églises pour les quelques 1200 maisons de la ville.


Figure 3 : Gravure de 1803 montrant bien la prédominance des clochers dans la ville de la colline de la Citadelle, à la droite de l’image. (Domaine public au Canada).

L’aube de la modernité de Montréal

En 1800, Montréal est encore essentiellement une bourgade d’Ancien Régime, mais ce ne sera plus le cas 25 ans plus tard. Jacques Viger, inspecteur et futur premier maire de la ville, trace en 1825 une image plus moderne de Montréal. Si l’administration dispose toujours d’une marge de manœuvre limitée, les cadres de la ville ont explosé et les améliorations urbaines de ce premier quart de siècle ouvrent la porte à la métropole qui dominera le Canada à la fin du siècle.

Lexique

Bourgade : Désigne un petit bourg, soit un village d’apparence médiévale généralement entouré de murs.

Calendrier agroliturgique : Désigne un rythme de vie prémoderne basé sur le cycle des saisons et des fêtes religieuses et liturgiques. Par exemple, la Saint-Michel est une fête religieuse à la fin septembre signalant le début de la préparation automnale.

Corvée : Devoir civique prémoderne associé à la servitude obligeant tous les membres d’une communauté à participer quelques journées par années à des travaux publics comme l’entretien et la construction des chemins et des rues.

Police : Dans sa formulation prémoderne, la Police ne désigne pas un corps d’officiers, mais plutôt l’encadrement réglementaire de la ville. Les « Règlements de Police » sont adoptés par les juges de paix ou le gouvernement colonial et touchent tous les aspects de la vie publique allant des comportements indésirables à l’ouverture des marchés.

Tombereau : Sorte de petit chariot simple à usage individuel comportant deux roues et deux poignées.

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