Méditer pour mieux juger

Nascan Gill

Étudiant au doctorat en psychologie

Méditer pour mieux juger

Nascan Gill

Étudiant au doctorat en psychologie

Et si s’arrêter cinq minutes pour méditer pouvait aider à prendre de meilleures décisions ? Il est déjà bien établi que la méditation, à long terme, améliore l’humeur et réduit le stress. Une récente étude confirme maintenant que cette pratique a aussi des effets immédiats sur les capacités mentales. Quelques minutes de méditation de type présence attentive suffiraient à améliorer les capacités de jugement, même chez des débutant·es.

Vous êtes en position assise dans une pièce silencieuse. Vous tentez de percevoir les sensations subtiles que provoquent vos inspirations et expirations. Soudainement, vous réalisez que vous étiez en train de penser à ce que vous alliez préparer pour le souper. En tentant de demeurer calme et de ne pas vous juger de cette distraction, vous ramenez votre attention à votre souffle. Puis, un souvenir de votre enfance apparait. L’image d’un ami avec qui vous jouiez dans votre enfance apparait très clairement dans votre esprit, et vous amène dans une chaine de pensées à son égard. Après quelques secondes, vous réalisez que votre attention a encore été distraite. Vous la ramenez, une fois de plus, à la respiration.

Cette description correspond à une expérience typique de méditation de type présence attentive, qui consiste à porter une attention au moment présent sans jugements1. Pour la pratiquer, il faut se concentrer intentionnellement sur un élément de son expérience immédiate, comme les sensations physiques provoquées par la respiration. Lorsqu’il est remarqué que des distractions perturbent l’attention, celle-ci doit être ramenée vers l’expérience présente en tentant de maintenir une attitude ouverte et sans jugements. Pour un·e débutant·e, les distractions sont nombreuses et omniprésentes. Le·la méditant·e doit donc chercher à équilibrer à la fois un haut niveau d’alerte et de relaxation2. Avec le temps, il·elle apprend à remarquer ses pensées et émotions de façon sereine et peut développer des états de concentration plus profonds3.

 

La méditation au service du bien-être

La présence attentive a été intégrée à des thérapies visant à réduire de nombreux symptômes psychologiques. Elle est aussi utilisée comme traitement secondaire à des maladies chroniques4. En raison de sa polyvalence, son utilité clinique est parfois exagérée dans les médias5. Toutefois, c’est uniquement pour les symptômes d’anxiété, de stress et de dépression que l’efficacité des thérapies basées sur la présence attentive est rigoureusement démontrée6. Il est également bien établi que cette forme de méditation engendre des bénéfices pour le bien-être des populations sans troubles psychologiques. Elle améliore notamment l’humeur, l’estime de soi et la résistance au stress des étudiant·es et des travailleur·euses7.

La présence attentive modifierait aussi de façon positive et durable la structure du cerveau des individus qui méditent de façon assidue8. C’est du moins ce que suggèrent les recherches réalisées auprès de certaines populations de moines qui pratiquent la présence attentive plusieurs heures par jour. Ces recherches suggèrent que la présence attentive réduit au long terme la connectivité entre les zones cérébrales associées à l’évaluation affective et cognitive et les zones associées à la perception douloureuse. Autrement dit, les zones du cerveau qui perçoivent la sensation de douleur communiqueraient moins avec les zones qui réagissent à la douleur. Cela impliquerait que les méditant·es expérimenté·es sentent plus clairement la douleur, mais que celle-ci peut être observée calmement.

 

Des bénéfices immédiats

Nul besoin de méditer durant des années et d’être capable d’atteindre un état de concertation profond pour tirer profit de la présence attentive. De récentes études suggèrent qu’une séance de seulement cinq minutes de présence attentive suffit à augmenter de façon immédiate, mais temporaire, les capacités mentales, même chez des débutant·es qui n’ont jamais médité9. Plus spécifiquement, ces courtes périodes de méditation augmenteraient la capacité à raisonner et à poser des jugements justes, exempts de biais cognitifs.  Ainsi, face à des choix difficiles, méditer pourrait aider à prendre des décisions plus judicieuses, en réduisant les chances que les décisions soient influencées par des raccourcis intellectuels ou des préjugés.

Par exemple, si une directrice de département doit choisir entre deux professeurs à sélectionner pour un poste prestigieux alors que l’un d’eux est son ami, son choix peut difficilement être juste. Pourtant, certains biais cognitifs pourraient l’empêcher de réaliser qu’elle est en situation de conflit d’intérêts10. Méditer quelques minutes pourrait l’aider à en prendre conscience et augmenter les chances qu’elle prenne une décision plus équitable, comme de déléguer cette responsabilité du choix à un autre membre de l’administration.

Cet effet immédiat de la méditation a été documenté par une équipe de recherche de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université de Montréal et de McGill. L’équipe a mené une étude visant à évaluer l’effet immédiat d’une seule séance de méditation sur les capacités mentales comme la mémoire, l’inhibition cognitive et le raisonnement. Dans les dernières années, de nombreuses études ont été publiées sur le sujet, mais en raison de résultats contradictoires, celles-ci étaient difficiles à interpréter. Afin de brosser un portrait global sur le sujet, l’équipe de chercheurs a réalisé une méta-analyse. Cette approche consiste à synthétiser quantitativement les données provenant de plusieurs études afin d’en dégager la tendance générale.

En combinant les résultats de 34 études, les chercheur·euses ont conclu que de pratiquer la présence attentive durant une seule séance cinq minutes améliore réellement le fonctionnement mental global11. L’effet le plus robuste est toutefois celui sur les capacités à raisonner justement et, plus particulièrement, à éviter les biais cognitifs. En revanche, il ne semblait pas y avoir d’effet sur la mémoire ou l’inhibition cognitive. Par ailleurs, cette étude ne permet pas de conclure qu’il existe un effet stable de la méditation dans le temps. La durée des tests cognitifs ne dépassait pas dix minutes, donc il est impossible de savoir si ces effets immédiats de la méditation se maintiennent dans le temps ou s’estompent rapidement. La durée de ces effets devra être davantage étudiée.

Donc, si une décision importante doit être prise dans les prochaines minutes, il peut être judicieux de s’arrêter quelques instants pour méditer. Surtout considérant que la méditation de type présence attentive peut se pratiquer en quelques étapes seulement (Figure 1).

 

Lexique :

Biais cognitif. Les biais cognitifs sont des erreurs de raisonnement et de jugement qui nous amènent à entretenir des perceptions fallacieuses sur le monde et à prendre des décisions irrationnelles. Les biais cognitifs surviennent de façon relativement systématique, au sens où certains contextes tendent à les provoquer12. Il est donc possible de les identifier, de les classer et même de tester la propension des individus à y succomber. La revue Raccourci (www.shortcogs.com) recense de nombreux exemples de biais cognitifs.


Inhibition cognitive. Capacité à contrôler des réponses automatiques. D’être en mesure d’empêcher certaines pensées de se manifester ou de pouvoir diminuer l’intensité d’une émotion sont des exemples de formes d’autocontrôle qui relèvent de l’inhibition cognitive13.

Figure 1. Quatre étapes faciles pour pratiquer un exercice de méditation de type présence attentive et ainsi améliorer temporairement ses capacités de jugement. ©Louis-Nascan Gill, 2021.
Références

1. Baer, R. A. (2003). Mindfulness training as a clinical intervention: A conceptual and empirical review. Clinical psychology: Science and practice, 10(2), 125‑43. https://doi.org/10.1093/clipsy.bpg015

2. Crane, R. S. et Kuyken, W. (2018) The mindfulness-based interventions: Teaching assessment criteria (MBI: TAC): reflections on implementation and development. Current opinion in psychology, 28, 6-10. https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2018.10.004

3. Vago, D. R. et Zeidan, F. (2016). The brain on silent: mind wandering, mindful awareness, and states of mental tranquility. Annals of the New York Academy of Sciences, 1373(1), 96. https://doi.org/10.1111/nyas.13171

4. Baer, R. A. (2003). Mindfulness training as a clinical intervention: A conceptual and empirical review. https://doi.org/10.1093/clipsy.bpg015.

5. Van Dam, N. T. et al. (2018). Mind the hype: A critical evaluation and prescriptive agenda for research on mindfulness and meditation. Perspectives on Psychological Science, 13(1), 36‑61, https://doi.org/10.1177/1745691617709589.

6. Khoury, B. et al. (2013). Mindfulness-based therapy: A comprehensive meta-analysis. Clinical Psychology Review, 33(6), 763‑71, https://doi.org/10.1016/j.cpr.2013.05.005.

7. Creswell, J. D. (2017). Mindfulness interventions. Annual review of psychology, 68, 491‑516. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-042716-051139.

8. Tang, Y.-Y., Hölzel, B. K. et Posner, M. I. (2015). The neuroscience of mindfulness meditation. Nature Reviews Neuroscience, 16(4), 213. https://doi.org/10.1038/nrn3916.

9. Gill, L.-N. et al. (2020). Mindfulness induction and cognition: A systematic review and meta-analysis. Consciousness and Cognition, 84, 102991. https://doi.org/10.1016/j.concog.2020.102991.

10. Gill, L.N. (2020). Biais d’angle mort. Dans É. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton et É. Muszinski (dir.), Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs (vol. 2). [En ligne] www.shortcogs.com

11. Gill, L.-N. (2020). Mindfulness induction and cognition: A systematic review and meta-analysis. https://doi.org/10.1016/j.concog.2020.102991.

12. Blanco, F. (2017). Cognitive Bias. Dans J. Vonk et T. Shackelford (dir.), Encyclopedia of Animal Cognition and Behavior (p. 1-7). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-47829-6_1244-1.

13. MacLeod, C. M. (2007). The concept of inhibition in cognition. Dans D. S. Gorfein et C. M. MacLeod (dir.), Inhibition in Cognition (p. 3–23). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/11587-001.

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