Environ 80 % des municipalités canadiennes se sont établies au départ dans des zones inondables. Cette statistique peut s’expliquer par le développement historique des communautés le long des cours d’eau. En raison de la croissance démographique, nous estimons qu’aujourd’hui 20 % des résidences sont situées dans une zone inondable répertoriée. Le phénomène ne fait que s’amplifier.
Une cartographie vétuste et déficiente
Cependant, ce chiffre de 20 % demeure largement sous-estimé puisqu’il repose sur une cartographie des zones inondables désuète. En 2019, plus de la moitié des lots inondés au Québec étaient situés à l’extérieur des zones inondables répertoriées. Les cartes actuelles ne tiennent pas compte non plus des obstructions possibles par la glace*, de la rupture de digues ou de barrages ou encore des phénomènes météorologiques extrêmes.
Le fait de concevoir de nouvelles cartes de zones inondables conduit inévitablement à un élargissement des zones à risque. Cela peut ainsi limiter le potentiel de développement d’un territoire et réduire considérablement la valeur des terrains. Dans ce contexte, certain·e·s élu·e·s font preuve d’aveuglement volontaire. L’opposition du monde municipal à l’ajout de nouvelles zones inondables par le gouvernement du Québec démontre à quel point la cartographie du risque d’inondations est un enjeu politique.
L’aménagement du territoire : source de conflits d’intérêts
Toutefois, les déficiences en matière de cartographie n’expliquent pas à elles seules l’augmentation de la population dans les zones inondables. Les municipalités jouissent d’une grande discrétion en matière d’aménagement du territoire*. Les élu·e·s municipaux arbitrent donc entre la réduction du risque d’inondations, les avantages économiques et de bien-être individuel d’une minorité de la population. Ainsi, un conflit d’intérêt survient lorsqu’une municipalité priorise le développement immobilier sur son territoire au détriment du risque d’inondations. Toutefois, cette responsabilité d’occupation des zones inondables est partagée avec les individus. En effet, ce même conflit d’intérêts existe lorsqu’un citoyen ou une citoyenne occupe une zone inondable sachant que les programmes d’aide gouvernementaux viendront l’indemniser en cas d’inondations.
L'ampleur du phénomène
Les inondations de 2017 et 2019 au Québec ont affecté respectivement 293 et 240 municipalités. Le gouvernement du Québec a déboursé près d’un milliard de dollars et les assureurs privés ont versé 500 millions de dollars en indemnités. L’ampleur des dommages a ravivé le débat quant à qui incombe la responsabilité :1) de payer pour ces catastrophes successives ; et 2) de la mise en œuvre des mesures de réduction du risque d’inondations. La situation est telle que la pérennité des divers programmes gouvernementaux d’aide post-catastrophe est remise en question. Dans le régime actuel, le gouvernement fédéral assume plus de 70 % de la facture lors de catastrophes majeures par le biais des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC). Le 30 % restant est déboursé par la province et dans une moindre mesure par les assureurs privés. Ainsi, l’ensemble des contribuables participe au financement des indemnités à répétition qui sont versées à une minorité grandissante de sinistrés.
Les solutions proposées
En réaction, le ministère de la Sécurité publique du Canada vient d’annoncer la création d’un programme national d’assurance pour les résidences situées dans les zones à haut risque. L’objectif de ce programme est de réduire le coût des AAFCC et de faire contribuer directement les résident·e·s des zones inondables. Pour sa part, le gouvernement du Québec a récemment réduit les indemnités prévues à son Programme général d’indemnisation et d’aide financière lors de sinistres réels ou imminents. Cette nouvelle version impose une limite à vie aux sinistr·é·s et vise à les décourager à reconstruire dans les zones inondables. Quant aux assureurs privés, ils n’offrent que des protections partielles pour les résidences dans les zones à faible risque et demeurent absents des zones à haut risque.
De nouvelles perspectives
En conséquence, les occupant·e·s des zones inondables assumeront une plus grande partie du risque financier. Même si ces initiatives sont un pas dans la bonne direction, freiner la croissance de la population dans ces zones ne peut reposer que sur une contribution financière additionnelle des occupant·e·s. Les municipalités ont peu d’incitatifs à réduire le risque d’inondations puisqu’elles ne participent pas aux indemnités versées aux victimes d’inondations. Ainsi, faire participer les municipalités dans le financement du coût des dommages pourrait constituer un incitatif à freiner la croissance de la population dans les zones inondables. Cela aurait pour effet de réduire l’exposition financière des contribuables et ainsi rendre plus équitable le partage du risque financier lié aux inondations.
Lexique
Embâcle de glace : Une obstruction ou embâcle de glace est un amoncellement de glaçons dans un cours d’eau, pouvant former des barrages temporaires et provoquer de graves inondations lors de la débâcle. Dans un fleuve, une rivière ou en mer, la débâcle est un phénomène météorologique de rupture brusque de la couverture de glace, suivie de son départ massif en blocs et précédant leur fonte.
Aménagement du territoire : L’aménagement du territoire fait principalement état des moyens utilisés par le secteur public pour influer sur la distribution des activités dans un espace. Elle sert à créer une organisation plus rationnelle de l’utilisation des sols et des liens entre ceux-ci, d’équilibrer les impératifs d’aménagement avec la nécessité de protéger l’environnement et de remplir des objectifs économiques et sociaux.
Découvre l'auteur
Bernard Deschamps
Bernard Deschamps, est candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses travaux s’intéressent au rôle des municipalités dans le partage du risque d’inondations et vise à proposer un système optimal de partage des risques impliquant les municipalités. Aujourd’hui retraité, Bernard possède plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie de l’assurance et la gestion des risques. Bernard est CPA et titulaire d’une maîtrise en administration publique (MAP). Dans ses temps libres, il est un adepte de voyages d’aventure en motocyclette et affectionne particulièrement les destinations au sud de l’équateur.