Le cycle d’un souvenir traumatique

Marjolaine Rivest-Beauregard

Étudiante au doctorat en recherche en santé mentale

Justine Fortin

Étudiante au doctorat en neuropsychologie

Le cycle d’un souvenir traumatique

Marjolaine Rivest-Beauregard

Étudiante au doctorat en recherche en santé mentale

Justine Fortin

Étudiante au doctorat en neuropsychologie

Une expérience traumatique peut créer énormément de détresse par des intrusions dans les pensées et par des cauchemars. Ces symptômes psychologiques sont difficiles à éliminer et affectent la vie quotidienne. Le fait qu’une expérience traumatique puisse avoir autant d’impact sur la santé mentale est causé par la manière dont le souvenir de l'événement est enregistré dans le cerveau, par le biais de la mémoire. Ainsi, lorsqu’un événement traumatique est mémorisé, le souvenir peut devenir si fort qu’on le revit chaque fois qu’il est activé, et ce, sans qu’on puisse en avoir le contrôle.

Certains moments que l’on vit s’accrochent à nous comme des sangsues. Par exemple, Emmanuel se retrouve dans un grave accident de voiture. Il est au volant alors qu’il perd soudainement le contrôle sur l’autoroute et fait des tonneaux jusqu’à ce qu’il heurte un garde-fou. Au moment de la collision, Emmanuel ressent une peur extrême de perdre la vie. Encore deux ans après l’accident, Emmanuel ne cesse de penser à cette journée et au moment où il a perdu le contrôle en voiture, malgré le fait qu’il fait tout en son pouvoir pour penser à autre chose. Il en fait même régulièrement des cauchemars. Pour éviter de se remémorer et, par conséquent, de revivre l’accident de voiture en boucle, il refuse de conduire et de prendre l’autoroute lorsqu’il est passager.

Emmanuel a ce qui est appelé un trouble de stress post-traumatique, un diagnostic entrainant une douleur psychologique qui empêche de fonctionner normalement dans la vie quotidienne à cause de symptômes d’intrusion et d’évitement. L’activation non volontaire du souvenir relié à l’évènement traumatique ne fait donc qu’annoncer la venue de ses symptômes psychologiques. Alors pourquoi certains souvenirs douloureux, comme l’accident de voiture, occupent-ils une place aussi importante dans les pensées et les comportements d’Emmanuel, alors que d’autres souvenirs non émotionnels tels que son petit déjeuner de la semaine précédente ne sont qu’un vague souvenir pour lui?

La réactivation d’un souvenir émotionnel

Un souvenir traumatique a une valeur émotionnelle qui atteint un niveau extrême avec lequel il sera difficile pour d’autres souvenirs non émotionnels de faire compétition. Ainsi, l’amygdale, une région du cerveau jouant un rôle important dans l’expérience émotionnelle, est suractivée, faisant en sorte que le souvenir créé refait surface plus facilement et rapidement que les autres. Non seulement le souvenir revient-il en mémoire, mais les émotions qu’Emmanuel a vécues lors de l’évènement refont aussi surface, laissant donc cette impression de revivre le traumatisme. Par conséquent, se remémorer un souvenir traumatique est comparable à revivre le trauma.

Le niveau d’intensité émotionnelle du nouvel évènement est associé au fait que le souvenir est remémoré avec plus de détails tel que l’odeur du café qui s’était déversé dans sa voiture lorsque la voiture d’Emmanuel a fait des tonneaux, l’heure exacte de l’accident ou même les sous-vêtements qu’il portait cette journée-là. Ainsi, afin d’éviter de revivre ce moment chaque fois qu’il refait surface, Emmanuel se met à éviter ce qui le déclenche. Par exemple, il se tient loin des endroits qui lui rappellent l’évènement traumatique ou encore évite des personnes qui sont associées à l’évènement.

La mémoire et la formation des souvenirs non émotionnels

Le mécanisme permettant à un souvenir d’être enregistré dans le cerveau est connu sous le nom de consolidation de la mémoire. Ce processus rend possible qu’un nouvel évènement soit rangé dans notre mémoire à long terme, qui peut être comparée à une commode : il faut ouvrir un tiroir et le refermer. Ainsi, lorsque l’on crée un nouveau souvenir, il doit, tel un nouveau morceau de vêtement acheté, être rangé afin que l’on puisse le réutiliser plus tard. Le processus de déposer le morceau de linge dans la commode et de refermer le tiroir pour qu’il y reste représente le mécanisme de la consolidation.

Sur le plan biologique, la consolidation se traduit par plusieurs changements dans le cerveau. En effet, le nouvel évènement passe de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme afin de créer un souvenir, qui pourra être réutilisé ou remémoré plus tard. Ce mécanisme se poursuit et se renforce pendant votre sommeil, ou lors de périodes de repos, permettant ainsi à votre cerveau d’optimiser la création de nouvelles connexions, qui sont nécessaires à la consolidation. Ce sont l’hippocampe et le cortex préfrontal, deux structures du cerveau, qui permettent au souvenir d’être consolidé dans la mémoire à long terme. D’un côté, l’hippocampe a pour rôle le passage du nouvel évènement de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, comme lorsque l’on place un morceau de vêtement dans la commode. De l’autre, le cortex préfrontal s’assure que le nouveau souvenir a une place bien à lui dans la mémoire à long terme afin que cette dernière ne soit pas surchargée.

Et qu’en est-il des souvenirs émotionnels?

Lorsque le nouvel évènement à consolider a fait vivre de fortes émotions telles que la détresse psychologique et la peur qu’Emmanuel a vécu lors de son accident de voiture, le même processus de consolidation est enclenché. Cependant, l’amygdale prend en charge ce mécanisme, s’assurant ainsi que le nouvel évènement aura une place de choix dans la commode afin que le vêtement soit plus facile à prendre et bien visible chaque fois que le tiroir est ouvert. Ainsi, si l’amygdale guide la consolidation, les souvenirs émotionnels persistent dans le temps et ont donc plus de chance d’atteindre la mémoire à long terme, comparativement aux souvenirs non émotionnels tels que le déjeuner lors d’une journée ordinaire.

Le souvenir persistant créé par un évènement traumatique peut expliquer certains symptômes du trouble de stress post-traumatique tels les cauchemars et les pensées intrusives. Cependant, d’autres symptômes comme l’irritabilité ne peuvent pas être expliqués par le souvenir traumatique. Ainsi, quels autres aspects de l’évènement traumatique dictent si un trouble de stress post-traumatique sera développé, ou non?

Découvre les autrices

Marjolaine Rivest-Beauregard et Justine Fortin

Marjolaine Rivest-Beauregard est présentement au doctorat en psychiatrie à l’Université McGill. Sa thèse visera à mieux comprendre les réponses de stress traumatique suite à la pandémie. Marjolaine se spécialise dans les traumas en lien avec les désastres de masse, tels que la pandémie ou les inondations au Québec. Elle travaille et est supervisée par le Dr. Alain Brunet et la Dre. Manuela Ferrari à l’Institut Douglas. Dans sa vision de chercheuse, elle souhaite promouvoir la vulgarisation de la recherche et le transfert des connaissances via divers projets tels que, Sors de ma tête ou les chroniques radio à l’émission Folie Douce.

Justine Fortin est présentement au doctorat recherche et clinique en neuropsychologie. Sa thèse vise à réduire la souffrance psychologique associée à un diagnostic de cancer du sein, par l’entremise d’une intervention pharmacologique. Depuis sa maîtrise en psychologie, Justine travaille dans le laboratoire des psychotraumatismes du Dr. Alain Brunet à l’Institut Douglas aux côtés de Marjolaine. Elle est également supervisée par Dre. Marie-France Marin. Elle fait la promotion de la vulgarisation scientifique et de la santé mentale à travers divers projets, tels que le podcast Sors de ma tête ou les chroniques radio à l’émission Folie Douce.

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