La santé mentale à l’ère de la pilule contraceptive

Lisa-Marie Davignon

Étudiante au doctorat en neuropsychologie

La santé mentale à l’ère de la pilule contraceptive

Lisa-Marie Davignon

Étudiante au doctorat en neuropsychologie

La pilule contraceptive peut-elle avoir des effets sur la santé psychologique des femmes qui l’utilisent? Les substances qu’elle contient exercent des effets sur certaines régions du cerveau importantes pour la santé mentale. La pilule contraceptive pourrait donc jouer un rôle dans l’émergence de troubles dépressifs et anxieux. Cependant, il faut traiter ces découvertes avec nuance. En effet, les recherches sur la pilule et la santé mentale sont relativement nouvelles. Elles jettent les bases pour plusieurs dizaines d’années de recherche à venir.

Près de 151 000 000 de femmes à travers le monde utilisent la pilule contraceptive, communément appelée « la pilule ». Ces femmes sont bien au fait de l’influence de la pilule sur leur capacité à tomber enceinte. Plusieurs d’entre elles notent aussi des effets physiques tels qu’une prise de poids ou encore des migraines. Au-delà de ces effets physiques, certaines femmes témoignent qu’elles se sentent plus déprimées ou anxieuses depuis qu’elles utilisent la pilule. Plus de 60 ans après l’arrivée de ce produit sur le marché, la communauté scientifique se penche enfin sur la santé mentale des femmes qui l’utilisent.

Plusieurs études soulèvent que la pilule contraceptive pourrait avoir des effets délétères sur la santé mentale. Par exemple, une étude à grande échelle suggère que les adolescentes qui utilisent la pilule contraceptive sont plus susceptibles de développer une dépression et d’utiliser des antidépresseurs au cours de leur vie. Ce groupe de chercheur.es a aussi souligné que les femmes qui utilisent une méthode de contraception hormonale*, dont la pilule contraceptive, étaient plus à risque de se suicider ou de faire une tentative de suicide. Durant la pandémie de COVID-19, une équipe de recherche montréalaise s’est penchée sur l’évolution des symptômes anxieux des personnes qui utilisaient la pilule lors du premier confinement. Pour la plupart des gens, les symptômes anxieux étaient élevés au début de la pandémie, et diminuaient à mesure qu’ils s’habituaient à la situation. De façon intéressante, les symptômes anxieux des femmes utilisant une méthode de contraception hormonale n’ont pas diminué. Ils sont demeurés aussi élevés qu’au départ pendant un an suivant le premier confinement. Conjointement, ces études encore peu nombreuses soulignent l’importance de se pencher sur la question de la pilule contraceptive et de la santé mentale des femmes de tous âges.

Une histoire d’émotions

La pilule contraceptive semble exacerber une émotion centrale à l’anxiété : la peur. En effet, des chercheur.es ont trouvé que les femmes qui utilisent la pilule avaient plus de difficulté à contrôler leurs émotions de peur. Pour parvenir à ce résultat, ces chercheur.es ont, d’abord, entraîné des femmes à avoir peur d’une image en leur envoyant un choc électrique à toutes les fois qu’elles y étaient exposées, et ce de manière répétée. De cette façon, en ne voyant que l’image, sans choc, les femmes montraient une réaction de peur puisqu’elles anticipaient de recevoir le choc. Ensuite, ces scientifiques ont entraîné les femmes à arrêter de craindre l’image, en ne leur administrant plus de chocs électriques lorsqu’elles la voyaient. Ces chercheur.es ont remarqué que les femmes qui prennent la pilule avaient davantage de difficulté à se rappeler que la photo était désormais « sécuritaire ». En effet, le lendemain de l’expérience, elles manifestaient plus de réactions de peur lorsqu’elles voyaient l’image comparativement aux femmes qui ne prenaient pas la pilule. Les résultats de cette étude mettent en lumière l’importance de s’intéresser aux conséquences psychologiques potentielles de la pilule contraceptive, telles qu’une possibilité d’avoir une régulation émotionnelle* réduite.

Le cerveau : une cible pour les hormones sexuelles

Quel est le lien entre la pilule contraceptive et la santé mentale? D’abord, il faut savoir que la pilule contient des substances artificielles, appelées hormones sexuelles*. Les hormones contenues dans la pilule se déplacent dans le sang et voyagent ainsi dans tout le corps. Une quantité importante de ces hormones se rendent au cerveau afin de modifier sa structure ainsi que la façon dont il fonctionne. Spécifiquement, les hormones se rendent dans des régions du cerveau jouant d’importants rôles à l’égard de la régulation émotionnelle. Parmi celles-ci se trouvent l’amygdale, qui est vue comme l’accélérateur des émotions, et le cortex préfrontal qui agit plutôt comme le frein des émotions (voir la Figure 1). En ciblant ces régions, les hormones peuvent modifier la façon dont une personne régule ses émotions. Des altérations de la régulation émotionnelle peuvent, à leur tour, contribuer à l’exacerbation de troubles de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété.

Figure 1. Schématisation de l’amygdale et du cortex préfrontal. © smart.servier.com

Mettre de l’eau dans son vin

L’ensemble de ces résultats peut sembler alarmant, surtout en considérant la proportion de femmes qui utilisent la pilule. Cependant, il faut rester prudent lorsque nous désirons en tirer des conclusions. Aucune étude à ce jour n’est en mesure d’affirmer que la pilule contraceptive est la « cause » des problématiques de santé mentale soulevées. De plus, la plupart des études sur la pilule contraceptive ont été conduites auprès d’un petit nombre de personnes et incluent plusieurs méthodes de contraception hormonale comme le stérilet hormonal ou le timbre. Ces méthodes sont pourtant fondamentalement très différentes les unes des autres. Des études remédiant à ces limites devront être conduites. Advenant la découverte d’un lien « causal » entre l’utilisation de la pilule et une santé mentale fragile, la communauté scientifique pourrait émettre des recommandations sur l’utilisation de la pilule chez les personnes plus vulnérables psychologiquement. La pilule demeure une méthode de contraception efficace, ayant de nombreux avantages pour certaines. Cependant, ces premiers résultats constituent l’occasion pour les femmes de faire un choix plus éclairé quant à la contraception. À l’ère de l’émancipation sexuelle et de la reprise de pouvoir des femmes sur leur corps, tout porte à croire que l’intérêt envers ces avenues de recherche ne fera que grandir! 

Lexique

Contraception hormonale : Méthode de contraception dont le mécanisme consiste à administrer des hormones sexuelles synthétiques aux personnes qui l’utilisent. Ces méthodes incluent la pilule, le stérilet hormonal, l’anneau, le timbre et l’injection.

 

Hormone sexuelle : Substance chimique qui permet de transmettre des messages dans le corps. Par exemple, l’estrogène est une hormone sexuelle libérée par les ovaires qui voyage dans le corps via le sang. Elle se rend ainsi dans diverses régions du corps comme le cerveau, afin d’y exercer des effets sur la mémoire ou la libido, entre autres

 

Régulation émotionnelle : Capacité à contrôler ses émotions, soit à les déclencher, les inhiber ou les moduler. Une faible régulation émotionnelle est associée à plusieurs troubles de santé mentale comme la dépression et l’anxiété.

Découvre l'autrice

Lisa-Marie Davignon

Lisa-Marie Davignon est étudiante au doctorat en neuropsychologie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le cadre de sa thèse, elle se penchera sur l’influence de la prise de la pilule contraceptive sur la régulation des émotions. Elle examinera si la pilule peut avoir des effets à long terme sur le cerveau grâce à des techniques d’imagerie par résonance magnétique. Outre son engouement pour la science, elle est passionnée de hockey et de cuisine.

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5 Comments

  1. Carla dit :

    Super analyse, je me pose actuellement certaines questions concernant ma sensibilité émotionnelle, surtout en période de menstruation 🩸.. je suis sous pilule (triafemi) et je pense réellement qu’il y a un lien de causalité entre la prise de pilule et le fait que je sois irritable et incapable parfois de contrôler mes émotions et mes larmes.

    Bonne continuation dans vos recherches.

  2. Camille dit :

    Rafraichissant à lire. J’ai eu une grosse période d’anxiété généralisée il y a quelques années, et j’ignorais pourquoi. Tout allait pourtant bien. Et tout ça a cessé durant le début de la pandémie, période où mon anxiété aurait due être exacerbée. Le seul changement que j’ai constaté, c’est que j’avais arrêté la pilule. Je me sens plus présente, plus apte mentalement à contrôler l’anxiété lorsqu’elle se présente désormais, et je ne prends plus la contraception hormonale depuis.

    • Marie dit :

      Le lien n’est pas forcément flagrant alors on s’en aperçoit pas mais je pense aussi avoir été « victime » de ma pilule.
      Je suis quelqu’un d’un naturel stressé pouvant même résulter en crises d’angoisses et ce avant de commencer à prendre une pilule contraceptive. Néanmoins alors que mon anxiété ou mes crises étaient liées a des moments importants dans ma vie (examens, déménagements, nouvel emploi, etc) Petit à petit je trouvais que je stressais de plus en plus fréquemment. Je me levais le matin avec la boule au ventre alors que je n’avais pas à être stressée. J’étais dans une routine et pourtant quelque chose m’angoissait… J’en suis arrivée à un point où meme les sorties sociales avec les amis m’angoissaient (on parle d’un dîner dans un appartement pas de quoi se stresser) Bref cela faisait 5 ans que j’étais sous pilule et je pensais que mon anxiété avait évolué d’elle même sans faire le lien (une évolution lente, avec un état anxieux plus présent sur les derniers mois de prise) Jusqu’au jour où j’ai eu de symptômes physique qui m’ont (enfin) fait comprendre je ne supportais plus (pas) ma pilule (Metrorragies, 28 jours non stop de règles, douleur dans les seins, …) du coup mon médecin a accepté (« Legers désagréments ») de me changer de pilule et m’a proposé un implant. En attendant l’implant je me suis un peu renseignée j’avais peur d’avoir des effets indésirables et que ça soit plus difficile de mettre en place le retrait (nouveau rendez-vous médical…)
      Et en faisant mes recherches j’ai pu lire certains témoignages sur les troubles anxieux ou dépressifs qui pourraient être causés ou accentués par une contraception hormonale (entre autres)
      J’ai donc décidé de mettre en pause le projet implant et j’ai arrêté la pilule « pour voir » Ça n’a pas été immédiat mais j’ai pu constater une évolution positive. Tout d’abord mon anxiété a diminué progressivement, ça fait maintenant 4-5mois j’ai retrouvé un appétit que j’avais perdu. Il m’était impossible de prendre du poids car je mangeais comme un moineau (car tout le temps stressée) et j’étais complexée par ma maigreur (ça aussi on en parle pas assez). Depuis l’arrêt de la pilule j’ai réussi à prendre 5kg! Sacré coïncidence…
      Je reste quelqu’un de stressée et ca ne changera pas mais je ne me lève plus avec la boule au ventre, je ne stresse plus sans motif valable, donc de la même manière je REVIS.
      J’ai par contre quelques boutons sur le menton, et j’ai retrouvé les règles abondantes qui durent 7 jours que je n’affectionnai pas forcément mais je préfère ça à la vie que je m’étais infligée ces derniers temps. J’ai aussi remarqué que je suis plus anxieuse en début de cycle je récupère un peu mon état de sous pilule mais ça dure qu’un ou deux jours. Je pense bien que tout cela est lié aux hormones.
      J’espère que certaines personnes pourront ouvrir les yeux grâce à nos témoignages car je me dit « si j’avais su… »

      • Valentine Dupont dit :

        Bonjour Marie,
        J’ai 32 ans, j’ai essayé 5 pilules différentes et chaque fois, des les premiers jours de prise je constate que mon état anxieux est exhacerbe, je suis aussi de nature anxieuse mais j’avais réussi à reprendre goût à la vie depuis quelques mois, puis mon partenaire m’a demandé de prendre la pilule et depuis quelques jours je ressens les meme effets secondaires délétères sur le moral que j’ai toujours ressentit dès les premieres semaines de prises. Fringale et nausée ( pratique ) angoisse inexplicable, perte de libido, envie de pleurer pour rien … bref la joie, je ne suis plus moi même. L’ennui c’est que mon copain insiste pour que je continue. Je ne sais pas si j’attends de voir si mon corps s’adapte à la pilule pendant le premier trimestre ou si j’arrête dès la fin de la première plaquette

  3. Compere dit :

    Bonjour mesdames,

    En vous lisant je me sent tout à coup moins seule.
    Je vous explique vite fait ma petite histoire.
    En juin 2022 je vais chez le médecin je sens des boules dans le ventre. Après palpation le médecin me dit que je suis enceinte. Cela est pour moi impossible. J’ai déjà eu 2 enfants la grande à 11 ans et le 2e 6. Plus de projet bébé zvec mon mari. Je ne prends pas de contraceptif car à la naissance de la 1ere j’ai eu un implant qui m’a fait prendre 20 kg baissé ma libido rendu aigri ect ect.
    Je fais donc écho en urgence et la le gynécologue m’annonce que je suis effectivement enceinte et que la grossesse remonte à au moins 4 mois.
    Coup très dur. Il faut encaisser …
    Bref grossesse très courte du coup je passerai tout les détails sur ce sujet.
    Accouchement parfait. Ombre au tableau je perd mon frère ce jour là.
    Je m’isole dans ma bulle pour me protéger et protéger ma petite merveille.
    J’arrive dans le vif. Je prend la pilule à partir de février 2023. Après mon retour de couche.
    Et depuis crises d’angoisse.
    Pendant la grossesse j’ai fait des crises d’anxiété mais qui n’en aurait pas fait ?
    Mais la depuis septembre jebfaisb1 crise d’angoisse par semaine. Je vois un psy. Il me donne des anxyolitique. Je ne suis pas fan mais des fois l’angoisse est trop trop forte.
    Puis mon mari trouve étonnant l’état psychologique dans le quel je suis.
    Il regarde effets indésirables de la pilule optimizette. Je ne l’ai pas écouté sur le moment mais en lisant cet article et vos témoignages je suis abasourdie.
    Quel solution du coup ?
    Une femme bien désespérée….

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