La gouvernance de la forêt publique québécoise

Maryse Proulx

Étudiante à la maîtrise professionnelle en gestion durable des écosystèmes forestiers

La gouvernance de la forêt publique québécoise

Maryse Proulx

Étudiante à la maîtrise professionnelle en gestion durable des écosystèmes forestiers

Au Québec, 92 % du territoire forestier est public et administré par l’État. Toutefois, l’implication de la population dans les processus de gestion du territoire est limitée. Entre les détours de la participation publique et la tenue d’activités forestières sur des terres autochtones non cédées, plusieurs freins complexifient la mise en place de la gouvernance de la forêt publique québécoise par les communautés qui l’occupent.

En 2013, le gouvernement québécois mettait en application la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, qui vise une gestion pérenne des ressources tant au niveau économique, social et qu’écologique. Cela implique entre autres un certain partage des responsabilités entre l’État et les communautés, de même qu’une meilleure prise en compte des orientations de développement désirées par la population. À ce jour, la concrétisation de ces principes est inachevée. D’une part, la gestion actuelle implique inadéquatement les peuples autochtones, alors qu’une grande proportion des forêts publiques se situe sur des territoires ancestraux non cédés. D’autre part, bien que la population côtoyant les zones d’exploitation soit consultée, elle a peu de pouvoir dans la prise de décisions concernant ces dernières.

Quelle forêt publique?

Au Québec, les plus grandes superficies forestières se retrouvent au Saguenay–Lac-St-Jean, sur la Côte-Nord et dans le Nord-du-Québec, trois régions qui totalisent moins de 5 % de la population totale de la province (voir figure 1).


Figure 1 : Carte des unités d’aménagement (UA) et des régions administratives du Québec. Le Saguenay–Lac-St-Jean (02), la Côte-Nord (09) et le Nord-du-Québec (10) sont les trois régions recouvertes par les plus grandes superficies d’UA. Image de : Maryse Proulx.

Ces régions se trouvent en bonne partie au sein des territoires ancestraux Cris et Innu, respectivement appelés Eeyou Istchee et Nitassinan. Parmi les Premières Nations, les Cris sont les seuls à gérer conjointement leur territoire forestier avec le gouvernement québécois à la suite de la signature de la Paix des braves en 2002. Les autres communautés autochtones sont plutôt consultées via différentes instances. D’une part, elles sont invitées aux tables de gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT) avec tous les groupes impliqués dans les activités forestières. Par contre, plusieurs communautés ne s’y présentent pas, car elles souhaiteraient avoir un dialogue de nation à nation plutôt que de siéger à une table commune avec d’autres intervenants où elles sont minoritaires. D’autre part, des rencontres de consultation entre l’État et les communautés autochtones ont également lieu, permettant le dialogue et la recherche d’accommodements. Dans tous les cas, le pouvoir décisionnel reste dans les mains du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).

Les tables GIRT, instances de consultation

Au cours des trois dernières décennies, le Québec a connu une forte effervescence des interrogations reliées à la durabilité de la gestion forestière. Celles-ci ont entrainé la création d’une commission d’enquête12 en 2004 ayant pour but d’identifier des avenues d’amélioration, tant au niveau social qu’écologique. Les recommandations issues de ce processus ont contribué à l’élaboration de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier.

C’est à la suite de l’adoption de cette loi que les tables GIRT ont été instaurées. En principe, on en compte une pour chaque unité d’aménagement, même si dans certaines régions une table GIRT peut participer à la planification de plus d’une unité d’aménagement. Elles tiennent des rencontres avec des représentant.e.s élu.e.s de différents groupes d’usager.ère.s du territoire (industries, propriétaires, municipalités, groupes environnementaux, groupes autochtones), afin d’identifier des enjeux locaux, d’élaborer des solutions et de les transmettre au MFFP. Elles sont également responsables d’organiser des consultations publiques à chaque fois qu’un plan d’aménagement est présenté pour leur unité. Ces consultations sont des lieux d’expression pour la population, et le MFFP a l’obligation de répondre aux critiques et commentaires qui y sont présentés. Toutefois, le choix de les inclure dans la planification reste à la discrétion du Ministère, ce qui peut générer des conflits. Par exemple, dans Lanaudière, un projet d’exploitation des forêts environnant le mont Kaaikop sème la controverse depuis sept ans. Le plan d’aménagement ne pouvant être modifié par le biais de la table GIRT, c’est via un jugement favorable de la cour supérieure qu’une suspension des autorisations de travaux a pu être obtenue.

Question de perspective

La perception dominante de la forêt comme une ressource à exploiter peut expliquer en partie le manque d’adéquation entre les principes présentés dans la loi et les possibilités actuelles de gouvernance locale. Sans revoir cette conception, il sera difficile de faire des transformations pérennes dans les modes de gestion. Toutefois, une certaine transition idéologique est observable au Québec. D’une part, les principes de la gestion durable sont bien ancrés au sein de l’aménagement, alors qu’il y a trente ans ce concept émergeait tout juste dans le secteur forestier. D’autre part, bien qu’encadrés par l’État, les changements en matière de foresterie peuvent aussi émaner de la population. En s’intéressant à l’histoire des forêts qui nous entourent et en s’impliquant dans les luttes qui s’y mènent, il est possible de contribuer à la mise en place d’une gouvernance collective et durable. Celle-ci est donc peut-être l’affaire de tous et de toutes et non pas la responsabilité entière des instances étatiques.

Lexique

  • Unité d’aménagement : découpage territorial, plus petit qu’une région administrative, qui sert de référence pour l’aménagement forestier. On en compte présentement 59 sur le territoire québécois.
  • Gouvernance : mode d’organisation des pouvoirs décisionnels reliés à un enjeu. En situation de gouvernance, les différents groupes impliqués, institutionnels ou non, se partagent les pouvoirs.
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