Faut-il se méfier de la littérature scientifique

Louis-Nascan Gill

Étudiant au doctorat en psychologie, UQAM

Faut-il se méfier de la littérature scientifique

Louis-Nascan Gill

Étudiant au doctorat en psychologie, UQAM

John P. A. Ioannidis, professeur à l’Université de Stanford, publiait en 2005 un article critique portant une thèse étonnante : la science produirait surtout de fausses découvertes. Une dizaine d’années plus tard, cette affirmation semblait corroborée par la « crise de la réplication », soit l’incapacité de reproduire les résultats d’études précédemment publiées dans des journaux scientifiques. En réponse à cette crise, des équipes de chercheurs de partout dans le monde s’unissent pour changer les pratiques de recherche.

Est-il possible que les individus qui adhèrent à des idéologies extrêmes perçoivent moins bien les nuances de gris — qu’ils aient littéralement tendance à voir le monde en noir et blanc ? Est-il possible que le simple fait de prendre une posture confiante augmente le niveau de testostérone et la tendance à prendre des risques ? Ces deux hypothèses ont été testées par des chercheurs en psychologie et ont d’abord été appuyées par des expérimentations scientifiques. Il s’agit également de deux exemples de phénomènes qui n’ont pu être répliqués et qui sont désormais considérés comme de fausses découvertes1. Pourtant, l’étude originelle ayant testé la deuxième proposition, connue sous le nom de l’étude des « postures de pouvoir », a été réalisée à Harvard et a été publiée dans un journal scientifique2. Étonnant ? Pas pour Ioannidis, qui affirme que les erreurs scientifiques sont prévalentes, même au sein des plus prestigieuses institutions de recherche et des plus éminents journaux savants.

La littérature scientifique sous la loupe

Ioannidis est un pionnier dans le domaine de la métascience, un champ multidisciplinaire qui vise à évaluer et à améliorer les pratiques scientifiques3. Son grand cheval de bataille est la réplication des études. Il remarque qu’à ses origines, la méthode scientifique reposait sur le principe que les expérimentations devaient être systématiquement reproduites en face de pairs savants. Or, dans la culture de recherche actuelle, les études de réplications seraient peu considérées. Au contraire, les chercheurs, sous la pression des organismes subventionnaires, des éditeurs scientifiques, de leurs pairs ou même de leurs propres universités, seraient parfois poussés à produire des résultats novateurs et originaux, et à privilégier la quantité de publications à la qualité des études4. Pourtant, rappelle Ioannidis, la méthode scientifique est un processus long et souvent imprévisible, incompatible avec les pressions de la culture scientifique actuelle. Les découvertes et les phénomènes rapportés par les chercheurs seraient souvent attribuables aux biais humains et aux failles méthodologiques – en somme, des erreurs.

Le célèbre article de John P.A. Ioannidis, publié dans la revue PLoS medecine. Cet article, cité plus de 7000 fois, a secoué la communauté scientifique et participé à l’émergence de la métascience.

John P.A. Ioannidis, pionnier dans le domaine de la métascience, affirme que la méthode scientifique est un processus long et souvent imprévisible, incompatible avec les pressions de la culture scientifique actuelle.

Alarmés par les critiques de Ioannidis, plusieurs chercheurs se sont lancés dans la métascience et ont tenté de reproduire des études précédemment publiées. Des projets d’envergure, basés sur des collaborations internationales entre plusieurs équipes de recherches, ont même permis d’estimer la reproductibilité des études de plusieurs domaines scientifiques.  Ces initiatives ont montré, par exemple, que seulement 40% des expérimentations en psychologie et 10% des études en biologie du cancer voyaient leurs résultats être répliqués5. De ce point de vue, la métascience peint une image plutôt pessimiste de la littérature savante. Et les problèmes de réplication semblent généralisés : un sondage réalisé auprès de chercheurs de domaines variés (p.ex. physique, médecine, sciences de l’environnement) montre que la majorité de la communauté scientifique croit que la science est en période de crise6.

Brian Nozek, chercheur principal de l’étude, explique que c’est en ayant pris connaissance de la littérature portant sur la métascience qu’il a décidé de répliquer sa propre expérimentation.

Suivant les traces de Ioannidis, Brian Nosek, professeur à l’Université de Virginie, critique aussi la culture scientifique actuelle. Il travaille à promouvoir la transparence et la collaboration auprès des chercheurs.

Crise de réplication ou révolution scientifique?

La métascience n’apporte pas seulement de mauvaises nouvelles, mais aussi des promesses de solutions. Premier constat encourageant : le simple fait d’être conscient des biais en science semble avoir une influence positive sur la qualité des recherches. Brian Nozek, chercheur principal de l’étude portant sur le lien être les idéologies extrémistes et la perception des nuances de gris, en témoigne. Il explique que c’est en ayant pris connaissance de la littérature portant sur la métascience qu’il a décidé de répliquer sa propre expérimentation. Ce faisant, il a constaté que l’effet observé dans son étude initiale était une anomalie statistique. Non, les individus qui adhèrent à des idéologies extrémistes ne perçoivent pas les nuances de gris différemment des gens ayant des opinions politiques plus modérées7. À la suite de cette expérience, Nozek est devenu un ardent défenseur de la métascience. Entre autres choses, il a participé à la mise sur pied de la plateforme web « Open Science Framework », qui vise à faciliter l’échange de données entre chercheurs et à rendre accessible des ressources méthodologiques, et ce pour différents champs scientifiques8.

Les travaux de Nozek ne sont qu’une des nombreuses initiatives visant à démocratiser et à rendre plus transparente la science. Par exemple, un nombre grandissant d’éditeurs scientifiques exigent maintenant que les données brutes des études soient également publiées avec l’article. Devant la multiplication de ces initiatives, Daniele Fanneli, professeure de méthodologie au London School of Economics and Political Science, propose de parler d’une « révolution scientifique » plutôt que d’une crise de réplication9. Pour elle, bien qu’il y ait place à l’amélioration, il est évident que les pratiques scientifiques deviennent de plus en plus robustes à travers le temps et que la prétendue crise a servi de catalyseur à ces changements positifs.

La posture de pouvoir consiste à adopter quelques instants une posture inspirant la confiance, par exemple en relevant le menton et en écartant les bras. Contrairement à ce qu’avait soutenue une première étude en 2010, ces postures n’ont aucun effet sur la testostérone et la tendance à prendre des risques.

Les preuves scientifiques ne sont pas définitives

Alors, faut-il considérer la littérature scientifique avec méfiance ? Revenons sur le cas de l’étude de posture de puissance. Après la publication de celle-ci, d’autres équipes de recherche ont tenté de répliquer l’effet de l’étude, sans succès. Devant l’accumulation de preuves, Danna Carney, auteure principale de l’étude originale, a admis de bonne foi que de prendre une posture confiante n’avait finalement, probablement pas d’effets réels sur la testostérone ou la prise de risque10. Cette affaire pourrait nous faire considérer la littérature savante d’un œil méfiant. À l’inverse, on pourrait y voir l’humilité et l’intégrité d’une chercheuse, ainsi que la capacité de la science à se corriger. Pareillement, le développement de la métascience et la « crise » qu’elle a provoquée peuvent nous rendre méfiants face au travail produit par les chercheurs. Mais d’un autre côté, c’est la démonstration de l’autocritique de la communauté scientifique et de l’évolution constante des pratiques de recherche. Comme le rappelle Ioannidis, la science est un processus complexe et itératif, qui n’apporte pas des réponses immuables. C’est une méthode, qui permet de prouver des théories… jusqu’à preuve du contraire !

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