Entrevue avec Sonia Lupien, chercheuse ayant à cœur le transfert des connaissances

Juliette François-Sévigny

Étudiante au doctorat en psychologie

Entrevue avec Sonia Lupien, chercheuse ayant à cœur le transfert des connaissances

Juliette François-Sévigny

Étudiante au doctorat en psychologie

Chercheuse en neurosciences, Sonia Lupien est titulaire d’une Chaire de recherche canadienne sur le stress humain. En plus de son importante contribution à la recherche, cette dernière est très impliquée en transfert des connaissances. Il n’y a qu’à penser au mammouth magazine, soit le magazine officiel de son laboratoire, vulgarisant de l’information scientifique quant aux effets du stress sur le cerveau et le corps humain ou encore aux deux livres qu’elle a écrits, « Par amour du stress » et « À chacun son stress », lesquels avaient pour objectif d’aider le grand public à mieux comprendre le stress.

La vulgarisation scientifique est intégrée à ta pratique scientifique depuis plusieurs années. À quel moment de ta carrière s’est imposée cette volonté de vulgariser ta science ?

SONIA LUPIEN C’est une belle histoire! En fait, ma volonté de vulgariser s’est imposée, vers l’an 2000, lorsque j’étais professeure à l’Université McGill. Je venais de publier une étude montrant que les jeunes qui passaient du primaire au secondaire présentaient une augmentation faramineuse des hormones de stress. Et cette augmentation ne pouvait pas être expliquée seulement par les changements hormonaux entourant la puberté. Parallèlement à cette découverte, la science montrait que c’est souvent au cours de la transition entre le primaire et le secondaire que l’on observe, chez les jeunes, la présence de symptômes d’anxiété et de dépression.

C’est ainsi que les membres de mon laboratoire et moi-même en sommes venus à poser l’hypothèse selon laquelle la présence des symptômes anxieux et dépressifs pouvait être liée au stress. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, moi je m’en souviens : quand on commence le secondaire, c’est nouveau, imprévisible, menaçant pour l’ego, sans compter qu’on n’a pas l’impression d’avoir le contrôle. Et disons que ça, ça peut être stressant!

Peu après la publication de cette étude, j’ai eu un insight : pourquoi ne pas faire un programme s’adressant aux jeunes qui s’apprêtent à commencer le secondaire pour les informer sur le stress et les manières de s’y adapter ? De cette idée en a découlé notre fameux programme « Déstresse et Progresse ».

Mais avant toute chose, une mise en contexte s’impose. Il faut savoir que lorsqu’on débute une carrière en recherche, c’est la course aux articles. Cette course demande de publier beaucoup d’articles par année, et ce dans des revues bien cotées. Ça, je l’avais fait. J’en étais venue au point où me lancer comme défi de publier un article de plus que l’année précédente était absurde. Ce qui avait encore moins de sens pour moi était de savoir que les jeunes qui s’apprêtent à commencer le secondaire sont plus vulnérables face au stress et de ne rien faire avec cette information. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de mettre la course aux articles de côté et de m’engager dans des projets qui allaient servir « le plus grand nombre » comme le programme « Déstresse et Progresse ».

Revenons maintenant à nos moutons! Une fois que ce programme a été mis sur pied, je me suis dit qu’il fallait le valider. Après tout, je ne voulais pas qu’il stresse plus les jeunes qu’il ne les aide…!  Heureusement, en le validant auprès de 500 jeunes, les membres de mon laboratoire et moi-même avons constaté que le programme favorisait la diminution des hormones de stress et de la symptomatologie dépressive! Nous savions alors que le programme produisait les effets escomptés!

Par la suite, dans l’optique d’implanter le programme dans les écoles québécoises, nous avons décidé de former les professionnel·le·s du domaine de l’éducation afin qu’ils et elles puissent administrer le programme « Déstresse et Progresse » aux jeunes de leurs écoles. C’est ce qu’on appelle en anglais « train the trainer ». Juste pour vous dire, depuis la création du programme, nous avons formé environ 100 000 jeunes à travers les professionnel·e·s scolaires. Et donc « Déstresse et Progresse », c’est l’une des plus belles réalisations de notre laboratoire.

Quelles sont les pratiques en vulgarisation scientifique que tu privilégies afin de maximiser les chances de succès d’un projet destiné au grand public?

SONIA LUPIEN Une des pratiques que je privilégie particulièrement est celle qui entoure la communication bidirectionnelle. En transfert des connaissances, le rôle du scientifique ne se réduit pas au partage de ses savoirs tout comme celui du public ne se résume pas au fait de recevoir ce partage. Le transfert des connaissances s’opère de part et d’autre. Cette pratique de communication bidirectionnelle, je l’ai bien comprise lors de la conception initiale du programme « Déstresse et Progresse ». En effet, nous n’avions pas impliqué le public et nous nous étions plantés en leur proposant une formule qui n’était pas adaptée à leurs besoins. Disons que nous avons rectifié le tir! Maintenant, près de 90 % des projets que je fais sont proposés par le public! C’est tellement plus intéressant!

Récemment, j’ai publié un article scientifique « Doctor, I am so stressed out! »1 où je me pose la question : est-ce que les gens qui se plaignent d’être très stressés conçoivent le stress de la même manière qu’on le fait dans les laboratoires scientifiques? Et la réponse, c’est non! Ce que je veux mettre en lumière ici est que la signification des mots peut différer d’un individu à l’autre et qu’il faut écouter. L’erreur à faire est de penser, qu’en tant que scientifique, on sait tout et qu’on n’a rien à apprendre du public. Ça prend beaucoup d’humilité pour faire du bon transfert des connaissances.

Y a-t-il eu des barrières que tu as dû surmonter dans tes activités de vulgarisation scientifique en tant que chercheuse? Si oui, comment les as-tu surmontées?

SONIA LUPIEN Il y a eu quelques défis, surtout au début de ma carrière. À ce moment, le transfert des connaissances n’était pas vu d’un aussi bon œil que maintenant. La science était une chasse gardée. Le savoir était perçu comme n’étant réservé qu’aux savant·e·s. Hans Selye, un endocrinologue ayant mené d’importants travaux scientifiques sur le stress, a été nominé 17 fois pour le prix Nobel et ne l’a jamais remporté, et ce probablement en raison de ses implications en transfert des connaissances. Bien que rarement, il m’est déjà arrivé de recevoir quelques commentaires péjoratifs à l’égard de mon rôle en vulgarisation scientifique : « Bon toi docteure stress, tu passes ton temps à la télé plutôt qu’à écrire des articles scientifiques ». Pourtant, mes implications en transfert de connaissances ne m’ont empêchée en rien de contribuer significativement à mon domaine de recherche. Personnellement, ce genre de commentaires ne m’atteignait pas. Cependant, ça pourrait être autrement pour d’autres.

Compte tenu de ta riche expérience en recherche, quel conseil donnerais-tu aux femmes qui aspirent à une carrière dans un domaine traditionnellement masculin?

SONIA LUPIEN « Personne ne peut vous diminuer sans que vous y consentiez ». C’est une citation que j’adore de Eleanor Roosevelt et il s’agit essentiellement du message que je tente de transmettre aux femmes qui aspirent à une telle carrière. 

Il y a quelques années, mon directeur de thèse m’avait conseillé d’aller voir le président du conseil médical du Canada (ce qu’on appelle maintenant les instituts de recherche en santé du Canada) puisque j’avais un dilemme scientifique : est-ce que je vais à droite ou à gauche, vous voyez le genre ?! Je me rappelle encore ce que ce monsieur d’une quatre-vingtaine d’années m’a dit cette journée-là : « Mme Lupien ne faites pas comme beaucoup de jeunes femmes et ne décidez pas à la place des autres. Laissez-leur l’odieux de vous répondre ».

Vous savez, j’ai entendu plusieurs jeunes femmes dans ma carrière dire qu’elles ne postuleront pas à une telle bourse ou à un tel poste puisqu’elles se disent que de toute façon elles ne l’obtiendront pas. Au contraire, il faut postuler et leur laisser l’odieux de nous dire non, si tel est le cas. Il ne faut jamais hésiter à aller de l’avant, peu importe ce que les gens vont dire.

Soyez fière, très fière d’être une pitbull peu importe ce qu’on va vous dire.

Références

  1. Lupien, S. J., Leclaire, S., Majeur, D., Raymond, C., Baptiste, F. J., & Giguère, C. E. (2022). Doctor, I am so stressed out!’A descriptive study of biological, psychological, and socioemotional markers of stress in individuals who self-identify as being ‘very stressed out’or ‘zen. Neurobiology of Stress, 18, 100454.
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