Entrevue avec Olivier Bernard

Martine Guay

Étudiante au doctorat en psychologie communautaire à l'UQAM

Entrevue avec Olivier Bernard

Martine Guay

Étudiante au doctorat en psychologie communautaire à l'UQAM

Qui a dit que l’humour et la science ne font pas bon ménage? Pour déboulonner ce mythe on s’est aventurés à faire une entrevue avec Olivier Bernard, alias le Pharmachien. Ce dernier crée depuis plusieurs années une multitude de types de contenu visant à abattre les mythes et la pseudoscience en s’armant d’ingéniosité et d’humour.

D’où est venu ton désir de vulgariser la science?

RÉPONSE De ma frustration! Comme pharmacien, je voyais à tous les jours à quel point les mythes en sciences et en santé étaient omniprésents chez le grand public, et tous les risques que ça comportait. Aussi, j’ai toujours eu une passion pour la communication écrite et orale depuis que j’étais très jeune. Oui, j’étais le « kid » qui aimait faire des exposés oraux! Donc entrer dans le monde de la vulgarisation a été un heureux accident pour moi.

Tu produis du contenu dans plusieurs médias : émissions de télévision, livres, conférences, vidéos, publications web et balados. Quels sont les avantages et les défis d’une production si diversifiée? 

RÉPONSE Il y a deux grands avantages. De un, certains sujets se déclinent mieux sous une forme qu’une autre. Par exemple, les sujets que je connais bien sont faciles à faire en BD. Mais si j’ai besoin de consulter plusieurs expert.es pour comprendre les enjeux, ça se fait mieux à la télé. De deux, les publics ne sont pas les mêmes. Mon public web est très, très différent de celui de la télé par exemple. Donc ça me permet de rejoindre un public très diversifié, ce qui est important pour moi. Évidemment, ça amène aussi des défis, car il faut apprendre de façon largement autodidacte comment bien maitriser toutes ces plateformes.

As-tu un média favori jusqu’à maintenant?

RÉPONSE Non, pour moi ce qui importe est de choisir le bon médium pour le bon sujet. C’est le fun aussi de pouvoir tester de nouvelles façons de faire. Par exemple, je travaille sur une série documentaire en balado depuis un an et c’est un des projets qui m’a fait le plus tripper de ma vie! 

Comment t’y prends-tu pour rendre accessible la science au grand public?

RÉPONSE Ouf, la grande question! Il n’y a pas de méthode simple. J’essaie d’abord de me baser sur des approches de communication qui ont fait leurs preuves scientifiquement. Par exemple, les témoignages et les émotions rejoignent davantage les gens que les informations factuelles; c’est pour cette raison que je démarre souvent avec des anecdotes personnelles et que je fais beaucoup de blagues, car ça fait mieux passer le contenu objectif aride qui vient avec. C’est aussi pour ça que je dessine des BD, car ce n’est pas tout le monde qui a envie de lire un texte de 5000 mots.

Comment fais-tu pour trouver le bon angle pour atteindre les gens quand tu déboulonnes un mythe? 

RÉPONSE C’est une bonne question… J’essaie de trouver un angle unique. Ça peut être une métaphore, une analogie, ou une référence de la culture pop qui me vient en tête quand je pense au sujet. Puis j’essaie d’intégrer les éléments rationnels en exploitant au maximum cet angle. J’ai souvent dit que ce que j’essaie de faire, c’est de mélanger les faits à l’intérieur d’une recette de gâteau; ça a l’air appétissant avec le crémage et tout, et ça goute bon, donc tu ne réalises pas que tu viens d’ingérer beaucoup d’informations qui ne t’auraient peut-être pas intéressé.e à la base.

Comment t’y prends-tu pour démystifier des mythes bien ancrés dans les esprits? 

RÉPONSE D’abord il faut bien choisir son public et ses combats. Les personnes qui ont une croyance fortement ancrée ne vont probablement jamais changer d’idée par une influence externe, car cette croyance est devenue identitaire. Si on les « challenge », ils.elles se braquent. Personnellement, je m’adresse aux gens « sur la clôture », ceux qui se posent des questions, qui ont peut-être lu quelque chose d’inquiétant, qui doutent. Ces personnes-là répondent bien à la vulgarisation, si le style et le ton les rejoignent.

Aussi, c’est important d’être empathique face aux gens qui ont de fausses croyances et de ne pas les traiter comme des niaiseux. Quand j’ai commencé Le Pharmachien en 2012, j’avais une approche plus baveuse et polarisante. Mais depuis quelques années, j’ai adopté une approche plus rassembleuse, où je tente de valider d’abord ce qu’il y a de bon dans telle ou telle croyance avant de corriger certains faits. C’est beaucoup plus efficace. Ça permet aussi de rester drôle et léger. Après tout, mon but est d’avoir le plus grand impact possible sur le public; je ne voudrais pas seulement « prêcher à des convertis ».

De nombreuses sources d’informations scientifiques ou pseudoscientifiques sur diverses plateformes sont facilement accessibles au grand public, notamment via les réseaux sociaux. Quels sont, selon toi, les avantages et les inconvénients à ça?

RÉPONSE Personnellement, j’adore quand les gens viennent me voir à la pharmacie et connaissent déjà leur sujet parce qu’ils ont beaucoup lu sur Internet! C’est fantastique. Ça n’existait pas quand j’ai commencé à pratiquer en 2004. Les gens sont plus informés que jamais, mais l’enjeu est de les aider à départager ce qui est bon de ce qui est moins bon dans ce qu’ils ont lu. À mon avis, il y a plus d’avantages que de désavantages, globalement.

Mais c’est sûr que c’est inquiétant de voir la prolifération des sources pseudoscientifiques sur le web… Peu de gens le savent, mais il y a une industrie bien organisée derrière ça. Donc ce n’est plus seulement une question de « combattre la fausse info avec de la bonne info ». Il faut qu’il y ait des mesures réglementaires et une réforme des réseaux sociaux si on ne veut pas que ça dégénère au-delà d’un point de non-retour.

Qu’est-ce qui, selon toi, explique un certain sentiment de méfiance envers la science?

RÉPONSE Je comprends les gens d’être méfiants, car il y a tellement eu de scandales scientifiques impliquant des grandes organisations, des experts à la solde de telle ou telle industrie. Ces histoires sont gênantes et pathétiques, et je pense que c’est une bonne attitude générale, la méfiance. Je suis moi-même comme ça. Ensuite, il faut développer son esprit critique pour ne pas devenir méfiant de tout, et bien identifier qui mérite notre confiance. Par exemple, il y a une tendance actuellement chez les mouvements antiscience de se présenter comme des « sceptiques », et de prétendre que leur méfiance envers certains consensus est justifiée, alors qu’elle ne l’est pas. Je pense aux changements climatiques et à la vaccination, entre autres.

Qu’est-ce qui fait que les scientifiques ne sont pas particulièrement doué.e.s pour vulgariser la science?

RÉPONSE Ce n’est pas notre faute, on n’est jamais formé.e.s pour ça ! Typiquement, la communication n’a pas une grande place dans les études en sciences, ce qui est quand même fascinant, car à quoi ça sert d’avoir un gigabagage de connaissances si on n’arrive pas à le transmettre à quelqu’un d’autre? Je pense qu’il y a du travail à faire à ce niveau.

Ensuite, je crois qu’il y a aussi une question d’intérêt et de personnalité là-dedans. Plusieurs des scientifiques que j’admire le plus dans le monde ne sont pas de bons communicateurs, mais ils/elles font des choses extraordinaires. Je respecte totalement les scientifiques qui n’ont pas envie de faire de la vulgarisation, surtout que les échanges sont de plus en plus intenses sur les réseaux sociaux. L’idéal est de collaborer et de puiser dans les forces de chacun. 

Si tu devais donner un conseil à des étudiant.e.s ou chercheur.euse.s en sciences afin de mieux vulgariser leur science, ça serait quoi?

RÉPONSE Viser 10 fois plus simple que ce qu’ils.elles considèrent être simple!!! Non mais sérieusement… Je suis sérieux. Mon attitude est toujours d’expliquer les choses comme si je m’adressais à un enfant. Je m’y prends de la même façon dans les congrès scientifiques avec un auditoire de Ph. D. L’affaire, c’est que PERSONNE ne sera fâché si c’est « trop » simple, « trop » court ou « trop » résumé! 

Quelle est la pire erreur que peuvent faire les scientifiques quand ils.elles cherchent à vulgariser leur science selon toi?

RÉPONSE Mal connaitre son public. À qui je m’adresse? Qu’est-ce qui les intéresse? Pourquoi ils/elles voudraient entendre ce que j’ai à dire? Qu’est-ce qu’ils.elles pourront faire, dès maintenant, de façon pratico-pratique, à partir de ce qu’ils.elles ont appris dans ma vulgarisation?

Moi-même, je me fais avoir à l’occasion; je donne une conférence pour la Xe fois, et je ne l’adapte pas face à un public légèrement différent. Oups, le public ne répond pas comme d’habitude, ou comme je l’espérais. C’est ma faute. Il faut toujours adapter soigneusement.

Quels sont tes projets futurs? (Ou tes objectifs de la prochaine année?)

RÉPONSE Je m’apprête à lancer une série documentaire en balado sur 8 épisodes, une sorte d’enquête qui porte sur le décès d’une femme dans le monde de la santé alternative. C’est une idée qui m’obsède depuis des années. Ça fait un an que mon sommeil est perturbé tellement je suis habité par mon sujet! La série sera lancée le 16 septembre avec Radio-Canada.

Sinon, je continue de produire du contenu pour Le Pharmachien sur mon site web et à la télé! Il y a aura surement d’autres livres aussi, quand ça sera le bon médium pour ce que je veux dire 😉

Pour toi, ça ressemblera à quoi la vulgarisation scientifique dans 20 ans?

RÉPONSE J’espère qu’il y aura plus de recherche sur les stratégies de communication efficaces pour changer les attitudes et les comportements. C’est ça le grand enjeu : on a besoin de données probantes pour savoir quels types de vulgarisation fonctionnent ou non! J’essaie toujours de m’adapter en fonction de ce que la science nous apprend, mais c’est un domaine où on en connait somme toute assez peu. J’espère qu’on aura de meilleures réponses dans 20 ans.

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