Écrire poisson sans poison

Mathieu Fornasier-Bélanger

Étudiant au doctorat en neuropsychologie

Écrire poisson sans poison

Mathieu Fornasier-Bélanger

Étudiant au doctorat en neuropsychologie

Il est connu que le mercure, retrouvé principalement dans la chair de poissons prédateurs, est toxique pour les humains. Les effets de l’exposition au mercure sont particulièrement délétères lors de la période fœtale et lors de l’enfance, puisqu’elle peut entrainer des atteintes cognitives. Toutefois, les organismes règlementaires comme Santé Canada recommandent de consommer du poisson plusieurs fois par mois, même chez les femmes enceintes et les enfants. Pour réduire son exposition et profiter des nutriments essentiels présents dans cet aliment, les poissons gras situés au bas de la chaine alimentaire sont préconisés.

En 2010, un groupe de scientifiques de l’Université du Québec à Montréal publiait une étude annonçant que plus de 50 % des brochets, des dorés jaunes et des truites grises du Québec contenaient des taux de mercure dépassant les normes recommandées par Santé Canada pour la consommation fréquente1. Lorsqu’ingéré, le mercure se retrouve dans les tissus biologiques humains, incluant le cerveau, et peut entrainer la mort de neurones2. C’est pourquoi on le qualifie d’agent neurotoxique. Considérant le rôle essentiel pour le développement humain de certains nutriments retrouvés dans le poisson, comme les oméga-3, faut-il s’inquiéter de la présence du mercure dans cet aliment?

 

Les effets néfastes de l’exposition au mercure à faible dose chez l’adulte ne sont pas toujours apparents. Il faut se pencher plus précisément sur certaines périodes du développement humain pour observer l’émergence d’un consensus scientifique. Les impacts de l’exposition au mercure sont plus évidents en bas âge et sont particulièrement nocifs si l’exposition a lieu pendant la période fœtale. En effet, le cerveau du fœtus est plus susceptible d’être altéré par le mercure comparativement au cerveau mature des adultes qui a déjà franchi la majorité des étapes cruciales de son développement2. Dans les faits, ce qu’on appelle la barrière placentaire* n’est pas totalement étanche. Une partie du mercure consommé par la mère la traverse aisément et est acheminée jusqu’au cerveau du fœtus par le sang3. Ainsi, les femmes enceintes ou prévoyant le devenir sont à risque d’exposer leur enfant lorsqu’elles consomment fréquemment des poissons dont la chair contient du mercure.

 

Des atteintes cognitives sous la loupe

 L’exposition au mercure à faible dose durant la grossesse est souvent associée à des difficultés qui se manifestent plus tard lors du développement de l’enfant. Ces enfants ont une performance plus faible à des tâches évaluant la mémoire, comme la capacité à retenir des listes de mots ou à retrouver le bon mot pour nommer des objets communs. On retrouve aussi des répercussions lors de tâches requérant une bonne coordination et de la motricité fine14,5. Néanmoins, certaines études n’ont pas observé de lien entre le fonctionnement cognitif à l’enfance et l’exposition faible au mercure durant la grossesse6.

 

Une hypothèse a été proposée pour expliquer ces résultats apparemment divergents. En fait, les nutriments essentiels comme les oméga-3 ou encore le sélénium, qu’on retrouve dans le poisson, contribueraient au développement normal de l’enfant. Ces nutriments essentiels pourraient contrebalancer les effets néfastes du mercure7,8. Par exemple, dans une étude menée aux États-Unis, la consommation de poisson pendant la grossesse était associée à une augmentation de l’exposition au mercure, mais aussi à une meilleure performance de leurs nouveau-nés dans un test de mémoire. La performance des enfants s’améliorait lorsque les mères consommaient des poissons ayant moins de mercure. Ainsi, les résultats de cette étude soutiennent que les enfants ont simultanément profité des bienfaits du poisson tout en étant exposés aux risques des substances nocives qu’il contient. C’est pourquoi Santé Canada, en considérant l’ensemble de ces résultats, a émis des recommandations encourageant la consommation régulière de poissons à haute teneur en oméga-3, mais à faible teneur en mercure.

 

Faire le bon choix

Heureusement, on retrouve plus d’une centaine d’espèces de poissons au Canada, dont certaines sont beaucoup moins à risque de contenir du mercure. En règle générale, les poissons au sommet de la chaine alimentaire accumulent une quantité plus importante de mercure dans leur chair puisqu’ils mangent beaucoup de poissons plus petits, qui contiennent eux aussi du mercure. Ainsi, les gros poissons piscivores (se nourrissant d’autres poissons) ont un taux de mercure souvent plus important que les petits poissons insectivores ou benthivores (se nourrissant des espèces présentes dans les fonds des plans d’eau, comme les larves et les crustacés). C’est pourquoi les femmes enceintes ou planifiant une grossesse sont encouragées à éviter les poissons prédateurs comme le doré, le brochet et le thon rouge. D’autres poissons, tels que les truites mouchetées et le saumon de l’Atlantique n’ont pas de limite de consommation puisqu’ils sont reconnus pour avoir une faible teneur en mercure tout en ayant une forte concentration d’oméga-310.

 

Aujourd’hui, environ 2 % des femmes canadiennes âgées de 16 à 49 ans (la tranche de la population la plus susceptible de mener une grossesse) ont un taux de mercure sanguin excédant les valeurs recommandées11. Les personnes dont la consommation hebdomadaire de poissons prédateurs est élevée sont plus à risque de faire partie de cette statistique. En respectant les directives de Santé Canada concernant le type, la fréquence et les portions de poissons à consommer, il est peu probable d’observer des atteintes cognitives en lien avec la contamination au mercure. Il faut toutefois rester vigilant, puisque les données actuelles ne permettent pas d’établir une dose minimale de mercure qui affecte le développement humain.

 

Lexique

Barrière placentaire : On attribue le nom de barrière placentaire au placenta puisque cet organe permet de protéger le fœtus contre certains virus tels que le VIH ou encore la mononucléose. Certains agents neurotoxiques comme le mercure peuvent toutefois atteindre le fœtus.

 

Références

  1. Lavigne, M., Lucotte, M., & Paquet, S. (2010). Relationship between Mercury Concentration and Growth Rates for Walleyes, Northern Pike, and Lake Trout from Quebec Lakes. North American Journal of Fisheries Management, 30(5), 1221-1237. https://doi.org/10.1577/m08-065.1
  2. Grandjean, P., et Landrigan, P. J. (2006). Developmental neurotoxicity of industrial chemicals. Lancet, 368(9553), 2167-2178. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(06)69665-7
  3. Ask, K., Akesson, A., Berglund, M., et Vahter, M. (2002). Inorganic mercury and methylmercury in placentas of Swedish women. Environ Health Perspect, 110(5), 523-526. https://doi.org/10.1289/ehp.02110523
  4. Grandjean, P., Weihe, P., White, R. F., et Debes, F. (1998). Cognitive performance of children prenatally exposed to “safe” levels of methylmercury. Environ Res, 77(2), 165-172. https://doi.org/10.1006/enrs.1997.3804
  5. Grandjean, P., White, R. F., Weihe, P., et Jorgensen, P. J. (2003). Neurotoxic risk caused by stable and variable exposure to methylmercury from seafood. Ambul Pediatr, 3(1), 18-23. https://doi.org/10.1367/1539-4409(2003)003<0018:nrcbsa>2.0.co;2
  6. van Wijngaarden, E., Beck, C., Shamlaye, C. F., Cernichiari, E., Davidson, P. W., Myers, G. J., et Clarkson, T. W. (2006). Benchmark concentrations for methyl mercury obtained from the 9-year follow-up of the Seychelles Child Development Study. Neurotoxicology, 27(5), 702-709. https://doi.org/10.1016/j.neuro.2006.05.016
  7. Campoy, C., Escolano-Margarit, M. V., Anjos, T., Szajewska, H., et Uauy, R. (2012). Omega 3 fatty acids on child growth, visual acuity and neurodevelopment. Br J Nutr, 107 Suppl 2, S85-106. https://doi.org/10.1017/S0007114512001493
  8. Van Oostdam, J., Donaldson, S. G., Feeley, M., Arnold, D., Ayotte, P., Bondy, G.,… Kalhok, S. (2005). Human health implications of environmental contaminants in Arctic Canada: A review. Sci Total Environ, 351-352, 165-246. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2005.03.034
  9. Oken, E., Wright, R. O., Kleinman, K. P., Bellinger, D., Amarasiriwardena, C. J., Hu, H.,… Gillman, M. W. (2005). Maternal fish consumption, hair mercury, and infant cognition in a U.S. Cohort. Environ Health Perspect, 113(10), 1376-1380. https://doi.org/10.1289/ehp.8041
  10. Gouvernement du Québec. (2021). Guide de consommation du poisson de pêche sportive en eau douce. https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/guide/presentation.htm#:~:text=Touladi%20(truite%20grise)- https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/guide/localisation.asp,Consommation%20recommand%C3%A9e%20%3A,section%20Pour%20en%20savoir%20plus
  11. Environment and Climate Change Canada. (2016). Canadian Mercury Science Assessment: Summary of Key Results. http://publications.gc.ca/collections/collection_2016/eccc/En84-130-2-2016-eng.pdf
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