Des kilos en moins, des polluants en plus

Mathilde Champagne-Hamel

Étudiante au doctorat en psychologie

Des kilos en moins, des polluants en plus

Mathilde Champagne-Hamel

Étudiante au doctorat en psychologie

La chirurgie bariatrique* est une procédure médicale de plus en plus répandue pour traiter l’obésité sévère. Celle-ci montre des résultats significatifs en matière de perte de poids et d’amélioration de la santé des patient·e·s. Cependant, des études récentes révèlent un aspect méconnu de cette procédure : la libération de polluants organiques persistants* dans la circulation sanguine. Ces substances toxiques, qui s’accumulent au fil du temps dans les tissus adipeux*, pourraient compromettre le succès de la chirurgie et avoir des effets délétères sur la santé cognitive des patient·e·s. Une exploration plus approfondie de ce phénomène s’avère essentielle afin d’identifier les risques de cette intervention.

Dans les dernières années, plusieurs études menées auprès de patient·e·s ayant subi une chirurgie bariatrique ont révélé que les niveaux de polluants organiques persistants enregistrés dans leur sang étaient jusqu’à quatre fois supérieurs à ceux de la population générale. Une fois dans la circulation sanguine, ces polluants peuvent atteindre le cerveau et interférer avec différents processus neurologiques comme la capacité du cerveau à s’adapter à son environnement et à transmettre les signaux entre les cellules du cerveau, appelées neurones*. Considérant que plusieurs milliers de personnes ont recours à la chirurgie bariatrique au Québec chaque année, faut-il s’inquiéter des conséquences potentielles de ce phénomène sur la santé humaine ?

La chirurgie bariatrique est souvent considérée comme le traitement le plus efficace permettant d’obtenir rapidement une perte de poids significative et d’améliorer l’état de santé global des patient·e·s en situation d’obésité. Bien que la chirurgie bariatrique représente une bouée de sauvetage pour plusieurs, elle entraîne également le relargage de composés chimiques dont les effets toxiques sur le cerveau ont été largement documentés. En effet, la perte de poids induite par cette intervention s’accompagne de la libération considérable de polluants organiques persistants qui étaient préalablement stockés dans les tissus adipeux. Ces substances, émises par des activités humaines telles que l’agriculture et l’industrie, se dissolvent facilement dans les graisses et s’accumulent ainsi dans les tissus adipeux des organismes vivants, y compris les humains.

Dans les semaines suivant l’intervention bariatrique, le processus de perte de poids rapide entraîne une diminution significative de la masse graisseuse, qui est utilisée comme source d’énergie pour le bon fonctionnement de l’organisme. Cependant, l’utilisation de cette énergie entraîne également la libération des polluants organiques persistants qui étaient piégés à l’intérieur des tissus adipeux. Une fois libérés, ces polluants se retrouvent dans la circulation sanguine, se dispersant ainsi dans tout le corps. Étant donné les propriétés toxiques de ces polluants, ce phénomène soulève de nombreuses préoccupations quant aux risques pour la santé des patient·e·s. 

Et le cerveau dans tout ça ?

Les polluants organiques persistants sont connus pour avoir des effets néfastes sur la santé humaine, particulièrement la santé cognitive. De nombreux travaux de recherche ont mis en évidence l’existence d’un lien entre une exposition accrue aux polluants et une altération du fonctionnement cognitif et comportemental. En effet, plusieurs études ont suggéré que des niveaux élevés d’exposition aux polluants organiques persistants peuvent entraîner des déficits sur les plans de la mémoire, l’attention et la vitesse de traitement de l’information

Les mécanismes sous-tendant la relation entre les polluants organiques persistants et la cognition demeurent mal compris. Certain·e·s scientifiques ont proposé que cette relation puisse être expliquée par la capacité des polluants à traverser la barrière hématoencéphalique*, une barrière de protection naturelle qui sépare le sang du cerveau. Une fois dans le cerveau, les polluants organiques persistants peuvent perturber la communication entre nos cellules nerveuses et interférer avec les hormones impliquées dans le bon fonctionnement du cerveau

D’autres études suggèrent aussi que l’exposition aux polluants organiques persistants peut déclencher une réaction inflammatoire, c’est-à-dire une réaction de défense de l’organisme contre le corps étranger, dans le cerveau. Cette réaction provoquerait, à long terme, des dommages cellulaires et une perturbation de l’équilibre chimique nécessaire au bon fonctionnement neuronal. En effet, des études sur des animaux et des humains ont montré qu’une telle exposition peut entraîner une augmentation de la réponse des cellules du système immunitaire. L’inflammation qui en résulte a par la suite été associée à la perturbation du fonctionnement normal des neurones

Quand prévention rime avec intervention

Considérant les conséquences potentielles de la libération des polluants organiques persistants après la chirurgie bariatrique, il importe de s’interroger sur les perspectives d’intervention et les mesures qui peuvent être mises en place afin de minimiser les risques pour la santé des patient·e·s. L’une des mesures clés est l’éducation et la sensibilisation des professionnel·le·s de la santé, des patient·e·s et du grand public aux risques associés à la libération des polluants organiques persistants. Il est essentiel de fournir des informations claires et fondées sur des preuves solides afin que les individus puissent prendre des décisions éclairées concernant leur santé. 

Du point de vue préventif, des stratégies nutritionnelles spécifiques peuvent être envisagées. Des études ont montré que certains nutriments peuvent influencer la façon dont le corps métabolise les polluants organiques persistants et ainsi diminuer leur présence dans l’organisme. Par exemple, des régimes riches en fibres alimentaires, en antioxydants (comme les vitamines C et E) et en acides gras oméga-3 peuvent avoir des effets bénéfiques en réduisant l’absorption des polluants et en favorisant leur élimination. 

Parallèlement, des études épidémiologiques et des recherches expérimentales sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à la libération des polluants organiques persistants après la chirurgie bariatrique. Cela permettrait de développer des protocoles de suivi appropriés pour les patient·e·s. Ainsi, on pourrait détecter d’éventuelles altérations de la santé et des fonctions biologiques, y compris la santé cognitive, et mettre en place des interventions précoces si nécessaire.

Double perspective

Il convient toutefois de souligner que l’obésité elle-même peut avoir des effets délétères sur la cognition. Des études ont montré que les personnes souffrant d’obésité sévère sont plus susceptibles de présenter des altérations cognitives telles que des problèmes de mémoire, d’attention et de vitesse de traitement de l’information. Par conséquent, bien que la libération de polluants organiques persistants secondaire à une chirurgie bariatrique puisse représenter un risque pour la santé cognitive, il est également possible que cette procédure entraîne des améliorations dans le fonctionnement cognitif des patient·e·s. En perdant du poids et en améliorant leur santé globale, les patient·e·s peuvent potentiellement réduire le risque de difficultés cognitives associé à l’obésité. 

Ainsi, il est impératif d’évaluer attentivement les bénéfices potentiels de la chirurgie bariatrique en matière d’amélioration cognitive, tout en prenant en considération les risques liés à la libération des polluants organiques persistants. Une approche équilibrée est nécessaire pour optimiser les résultats cliniques et le suivi des patient·e·s, en minimisant les risques pour la santé cognitive tout en maximisant les avantages de cette intervention.

Lexique

Barrière hématoencéphalique : La barrière hématoencéphalique est une interface protectrice située entre la circulation sanguine et le tissu cérébral dans le système nerveux central. Elle est formée par des cellules spécialisées qui limitent le passage sélectif de certaines substances du sang vers le cerveau, assurant ainsi la stabilité et la protection de l’environnement interne du cerveau contre les toxines, les agents pathogènes et les fluctuations chimiques.

 

Chirurgie bariatrique : La chirurgie bariatrique désigne les différentes procédures chirurgicales qui visent à réduire la taille de l’estomac ou à modifier le système digestif afin de favoriser la perte de poids chez les personnes souffrant d’obésité sévère. 

 

Neurone : Un neurone est une cellule spécialisée du système nerveux qui assure la transmission des signaux électriques et chimiques entre les différentes parties du corps ou du cerveau. 

 

Polluants organiques persistants : Les polluants organiques persistants sont des substances toxiques d’origine anthropique qui persistent dans l’environnement pendant de longues périodes, s’accumulent dans la chaîne alimentaire et ont des effets nocifs sur la santé humaine et l’écosystème.

 

Tissus adipeux : Le tissu adipeux est un type de tissu présent dans le corps humain, constitué d’un ensemble de cellules appelées adipocytes qui permettent le stockage des graisses sous forme de lipides. 

Découvre l'autrice

Mathilde Champagne-Hamel

Mathilde a entamé son doctorat en psychologie à l’UQAM en 2020. Son projet de thèse doctorale se concentre sur les effets de l’exposition aux polluants organiques persistants sur le fonctionnement cognitif des patients ayant subi une chirurgie bariatrique. Grâce à ses travaux de recherche, cette étudiante aspire à contribuer à l’amélioration des politiques de santé publique au Québec. Passionnée par la démocratisation des connaissances scientifiques, elle s’est engagée avec enthousiasme dans la rédaction de cet article.

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