Que penseriez-vous si l’un ou l’une de vos proches vous annonçait suivre une psychothérapie sous psilocybine pour traiter un problème de santé mentale? Plusieurs réactions sont possibles face à un phénomène auquel peu de personnes se sont questionnées ou se sont même informées. Dans notre société où le discours public s’efforce de déstigmatiser les troubles de santé mentale, il est de plus en plus courant de connaître au moins une personne qui en souffre et en parle ouvertement. Parallèlement à cette tendance, vient aussi l’essor de nombreuses thérapies alternatives mises à la disposition du corps médical, notamment les psychédéliques dont fait partie la psilocybine.
Certains troubles de santé mentale réfractaires aux traitements usuels pourraient bénéficier de ces thérapies, notamment la dépression réfractaire. Ce terme désigne une dépression pour laquelle au moins deux traitements antidépresseurs échouent à soulager les symptômes. Selon les études, la proportion de personnes souffrant de dépression réfractaire varie, mais elle gravite autour de 30 % des cas de dépression majeure. En outre, 30 à 45 % des personnes atteintes de dépression ne présentent qu’une amélioration partielle sous médication, tandis que 20 à 35 % ne ressentent aucune amélioration. La psilocybine a déjà été tentée chez certains de ces patient·e·s et a permis de diminuer leurs symptômes dépressifs. Ces constats mettent en lumière le fait que la médication n’est pas une panacée pour tous et toutes. Mais comment la psilocybine peut-elle agir sur le cerveau et en modifier le fonctionnement au point de possiblement venir à bout de certaines maladies?
Libérer l’esprit
Variables d’une substance à l’autre, les effets sur le cerveau humain des psychédéliques possèdent encore leur part d’inconnue. Toutefois, certaines études ont mis en évidence des mécanismes par lesquels ces substances peuvent influencer le fonctionnement du cerveau. Par exemple, si l’on prend la psilocybine, son effet peut s’apparenter à une sorte de reconnexion et de libération de la conscience. Notre cerveau, qu’on en soit conscient ou non, traite en permanence les signaux provenant de son environnement. Il les filtre, les analyse et coordonne une réponse, un peu comme un schéma qui s’assemble de manière plus ou moins consciente. En revanche, chez certaines personnes aux prises avec de la détresse psychologique, ces schémas de pensées peuvent alimenter des pensées négatives et devenir source importante de souffrance. Un des rôles de la psilocybine serait de permettre au cerveau de créer de nouveaux schémas de pensées moins dysfonctionnelles. Par exemple, une personne souffrant de dépression depuis de nombreuses années, chez qui les schémas de pensée négatifs se sont renforcés au point de rendre son quotidien difficile, pourrait trouver un soulagement grâce à une psychothérapie assistée par la psilocybine. Cette substance agirait comme un catalyseur pour permettre au cerveau de se réorganiser, offrant une nouvelle perspective, à condition de bénéficier d’un accompagnement thérapeutique approprié.

Un voyage guidé
Une condition essentielle à la réussite de ce traitement est une bonne alliance thérapeutique entre la personne professionnelle qui prodigue la psychothérapie et celle qui la reçoit. Ces séances, qui peuvent faire vivre aux personnes patientes des expériences intenses, tant positives que négatives, se doivent d’être menées par des professionnel·le·s formé·e·s qui savent réagir à l’éventail des situations pouvant survenir. De plus, l’environnement physique se doit d’être aménagé afin de permettre aux personnes patientes de vivre l’expérience la plus significative possible. Par exemple, la luminosité peut être adaptée et de la musique peut être choisie par le ou la patient·e afin d’encourager le voyage interne.
Un bénéfice de cette forme de psychothérapie est le faible risque de dépendance physique à la psilocybine. Toutefois, certaines précautions doivent être prises en considération. En particulier, il est important de noter que ces substances, ainsi que leurs effets positifs supposés, agissent souvent de manière variable d’une personne à l’autre et sont interprétées différemment selon les individus. Une autre considération à garder en tête est le risque d’abus et de faire vivre aux personnes patientes des expériences négatives traumatiques. Ces substances doivent être administrées dans le bon contexte et aux bonnes personnes, d’où l’importance d’avoir une décision éclairée avec une personne professionnelle de la santé. Il peut aussi s’avérer difficile de bien cibler qui pourrait en bénéficier, étant donné leurs effets variables qui dépendent grandement du contexte d’administration. Cependant, il est encourageant de voir que les changements neuropsychologiques induits par la substance semblent perdurer et ne nécessitent pas un apport constant en psilocybine.
En février 2024, le gouvernement du Canada repoussait à mars 2027 l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir des personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale. Soulevant son lot de questions, cette annonce met en lumière la nécessité qui nous incombe en tant que société de réfléchir aux troubles de santé mentale réfractaires. Peut-être que la psilocybine pourrait permettre à certaines personnes de venir à bout de leurs maux avant qu’une telle demande ne soit formulée.

Découvre l'auteur

Maxime Bouvier (il)
Maxime est étudiant en quatrième année au doctorat en médecine à l’Université de Sherbrooke. Depuis le début de son parcours, il s’intéresse aux enjeux de santé mentale, de consommation et de toxicomanie, plus particulièrement chez les jeunes. Dans ses temps libres, il aime passer ses journées à la course ou à vélo en profitant des paysages de l’Estrie.