Parmi les cancers gynécologiques, celui de l’ovaire est le plus redoutable : en 2023, plus de 3 100 Canadiennes ont reçu un diagnostic de cancer de l’ovaire, et on estime que 2 000 d’entre-elles y ont succombé. Le cancer ovarien se développe majoritairement à partir des cellules de l’ovaire ou des trompes de Fallope et est très souvent indétectable dans les premiers temps. Les femmes, dépourvues de symptômes, tardent alors à consulter, ce qui permet au cancer de progresser dans le corps avant d’être diagnostiqué. Malheureusement, les chances de survie diminuent considérablement à mesure que le cancer évolue. Actuellement, seulement la moitié des femmes atteintes de ce type de cancer survivent cinq ans après le diagnostic, et moins de 40 % survivent au-delà de dix ans.
La plupart des cancers de l’ovaire répondent à la chimiothérapie. Toutefois, certains s’adaptent à la présence d’agents chimiothérapeutiques. Cela provoque une récidive de la tumeur et la rend encore plus dangereuse. Le traitement conventionnel du cancer de l’ovaire repose, notamment, sur une combinaison de chimiothérapie et de chirurgie pour réduire la taille de la tumeur et l’ablation d’organes gynécologiques. La chimiothérapie constitue un traitement agressif qui cible l’ensemble des cellules de l’organisme. Celle-ci endommage surtout les cellules cancéreuses, qui se multiplient activement. Parallèlement, des cellules du système immunitaire sont recrutées au cœur de la tumeur pour faciliter l’élimination des cellules cancéreuses affectées par la chimiothérapie. C’est ici que l’immunothérapie entre en jeu. Il s’agit d’une stratégie thérapeutique novatrice qui exploite les défenses naturelles de l’organisme, c’est-à-dire le système immunitaire, pour combattre le cancer et ainsi compromettre la chimiorésistance.
La brigade immunitaire, inefficace contre le cancer
Notre système immunitaire agit comme une brigade de police dédiée à la protection de notre organisme. L’une de ses missions est de traquer et neutraliser les cellules cancéreuses. Lorsqu’une patiente rechute, sa brigade immunitaire n’est plus en mesure de faire la différence entre les cellules saines et cancéreuses. Cette défaillance peut être due à plusieurs facteurs, comme des modifications de l’environnement tumoral causées par la chimiothérapie.
En effet, des études ont montré que les cellules cancéreuses résistantes à la chimiothérapie présentent à leur surface des molécules leur permettant de passer sous les radars du système immunitaire. La présence de ces molécules est associée à une prolifération accrue des cellules cancéreuses, suggérant souvent un pronostic sombre pour les patientes. Chez les patientes saines, ces molécules agissent habituellement comme des balises régulant la présence des brigades immunitaires dans notre organisme. Cependant, les cellules cancéreuses les exploitent malicieusement, tels des boucliers les dissimulant et les protégeant de la brigade immunitaire. Les cellules cancéreuses peuvent donc se fondre dans la masse cellulaire et proliférer sans éveiller les soupçons de notre brigade de police immunitaire.

Figure 1. La brigade immunitaire (en vert) est chargée de détruire les cellules cancéreuses (en rose), mais parmi ces dernières, certaines résistent au traitement (bouclier jaune), se dissimulent et prolifèrent. Illustration par Nicolas Noleau.
L’immunothérapie, le nouveau commandant de la brigade immunitaire ?
Depuis quelques années, l’immunothérapie offre une stratégie thérapeutique nouvelle et prometteuse pour traiter les tumeurs ovariennes. L’immunothérapie, tel un nouveau chef de brigade, ravive et prépare plus efficacement le système immunitaire à reconnaître et contrer les tactiques de dissimulation utilisées par les cellules cancéreuses pour échapper à leur surveillance.
Hélas, la réalité des essais cliniques tempère notre enthousiasme. Les approches basées sur l’immunothérapie actuelle, couronnées de succès dans le traitement de plusieurs autres cancers, n’ont montré qu’une efficacité limitée contre le cancer de l’ovaire. En effet, il semblerait que les stratégies de dissimulation des tumeurs ovariennes pourraient être plus complexes et différentes de celles observées dans d’autres cancers. Cela pourrait nécessiter une approche immunothérapeutique plus ciblée et spécifique à chaque patiente en nommant un chef capable de former plus efficacement sa brigade.
Vers une médecine personnalisée, l’espoir d’un avenir sans rechute
À ce jour, le cancer de l’ovaire est l’un des rares cancers pour lesquels le traitement basé sur l’immunothérapie n’a pas montré de résultats satisfaisants. Cependant, des recherches récentes ouvrent de nouvelles perspectives en suggérant de cibler des combinaisons spécifiques de molécules présentes sur les cellules cancéreuses. Ces molécules, qui varient d’une patiente à l’autre, jouent un rôle crucial dans la façon avec laquelle le cancer interagit avec et échappe au système immunitaire. Une approche de médecine personnalisée est donc en train d’émerger, proposant des immunothérapies adaptées aux caractéristiques individuelles des patientes. L’objectif est double : réduire le risque de rechute et améliorer le pronostic des patientes à long terme. En adaptant l’immunothérapie aux caractéristiques moléculaires de chaque tumeur, il est possible d’optimiser la réponse immunitaire contre le cancer. Le laboratoire de la Pre Marilyne Labrie cherche à identifier quels commandants doivent diriger la brigade immunitaire de chaque profil de patientes pour permettre au système immunitaire de ces femmes d’exprimer pleinement leur potentiel thérapeutique.
La lutte contre le cancer de l’ovaire se caractérise par sa complexité et sa résilience face aux traitements conventionnels. Bien que l’immunothérapie n’ait pas encore atteint son plein potentiel dans le traitement du cancer de l’ovaire, elle représente un horizon prometteur pour de nombreuses patientes dont les options thérapeutiques restent encore limitées. Les efforts des équipes de recherche permettront de développer des thérapies plus efficaces et plus sûres où la rechute ne sera plus une fatalité, mais une étape surmontable sur le chemin de la guérison des patientes. Leur objectif ? Transformer cette maladie, souvent diagnostiquée tardivement et aux issues incertaines, en un ennemi connu et maîtrisable.
Découvre l'autrice

Zoé Gerber
Zoé est une étudiante française au doctorat en biologie cellulaire à l'Université de Sherbrooke. Sa formation initiale en bioinformatique en France l'a inspirée à élargir ses horizons culturels et scientifiques en s'immergeant dans un projet de thèse au sein du laboratoire de la Pre Marilyne Labrie. Son domaine d'intérêt porte sur le cancer de l'ovaire, en particulier sur les mécanismes immunosuppressifs induits par la chimiothérapie. En dehors du laboratoire, lorsqu’elle n’est pas absorbée par la programmation devant son ordinateur en écoutant de la musique mélancolique, vous la trouverez sûrement sur la patinoire, glissant sur la glace ou assistant à un match de hockey !