Quand le sommeil n’est plus de tout repos

Mariko Trépanier Maurais

Étudiante au doctorat en psychologie

Quand le sommeil n’est plus de tout repos

Mariko Trépanier Maurais

Étudiante au doctorat en psychologie

Imaginez-vous profondément endormi·e, quand subitement, vos gestes se mettent à mimer vos rêves. Cette activité motrice anormale se produit chez un individu sur deux diagnostiqué avec la maladie de Parkinson et chez neuf individus sur dix ayant la démence à corps de Lewy. Toutefois, ce qui fascine réellement la communauté scientifique, c’est que le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) s’avère le prédicteur le plus important de ces deux maladies neurodégénératives incurables. Il est donc crucial de s’y intéresser pour une meilleure compréhension des facteurs influençant le développement de ces pathologies.

En 1959, un neuroscientifique français conduit des expériences scientifiques sur l’un des compagnons préférés de l’homme, le chat. L’impact de ses recherches sera sans précédent. En effet, Dr Michel Jouvet, dans son laboratoire à Lyon, initiait sans le savoir les premiers pas dans l’identification d’un facteur de risque majeur de certaines maladies neurodégénératives. Dr Jouvet découvre qu’une lésion d’une petite région du cerveau des chats entraîne une perte de la paralysie musculaire. Cette paralysie est normalement présente durant le sommeil paradoxal, où se produisent la plupart des rêves. Le chat, bien qu’endormi, peut alors bouger les pattes et sauter, comme s’il chassait un ennemi imaginaire. Quelques années plus tard, cette découverte mènera à la description du premier cas de TCSP chez l’humain.

Le sommeil en éveil

Le 11 septembre 1982, au Minnesota, un homme de 67 ans est évalué en clinique du sommeil en raison de mouvements nocturnes violents entravant sa sécurité et celle de son épouse. Après une nuit d’observation durant laquelle le patient s’agite et donne des coups de pied et de poing en rêvant qu’il se bat, Dr Carlos Schenck établit le premier diagnostic de TCSP.

 

Le TCSP touche environ 2% de la population de plus de 40 ans, et plus particulièrement les hommes, sans que nous en connaissions les raisons exactes. Cette pathologie du sommeil apparait comme un signal d’alerte dans cette course contre la montre qu’est le diagnostic d’une maladie neurodégénérative. En effet, bien que longtemps considéré comme une simple pathologie du sommeil, sans autre atteinte particulière, le TCSP est en réalité l’un des plus puissants prédicteurs de la maladie de Parkinson et de la démence à corps de Lewy. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors que 30% des patient·e·s avec le diagnostic de TCSP progresseront vers l’une de ces maladies en cinq ans, cette proportion augmente à 50% en 10 ans et presque à 100% ultérieurement. Parmi ces personnes, 55% développeront une maladie de Parkinson, principalement caractérisée par une atteinte de la motricité, et 45% développeront une démence à corps de Lewy*, définie par un déclin cognitif* important.

 

Dépisté en amont, le TCSP permet ainsi de surveiller la progression vers l’une de ces maladies, à ce jour intraitables, et constitue une perspective prometteuse dans la quête d’un traitement. Cependant, le portrait clinique et l’évolution des symptômes chez les personnes atteintes du TCSP demeurent très variables, d’où l’importance d’un suivi clinique étroit afin d’assurer une prise en charge ciblée.

Dormir pour mieux prévenir

Constitué de divers stades se répétant tout au long de la nuit, le sommeil permet notamment la récupération physiologique, la consolidation des nouveaux apprentissages et le maintien de bonnes connexions dans le cerveau. Le sommeil NREM (non-rapid eye movement sleep) se décline en trois stades successifs : le sommeil léger, le sommeil lent et le sommeil profond. Survient ensuite le sommeil paradoxal (ou REM, rapid eye movement sleep), associé aux rêves les plus vivides. Cette phase du sommeil est également marquée par des mouvements des yeux rapides et une activité cérébrale intense, semblable à celle de l’éveil. Toutefois, les muscles du corps sont paralysés afin d’éviter de bouger pendant les rêves. C’est cette phase qui est altérée dans le TCSP.

 

Le TCSP, un trouble du sommeil ou parasomnie, survient en sommeil REM, contrairement au somnambulisme qui se déclare en sommeil NREM. On observe dans le TCSP le maintien du tonus musculaire, habituellement perdu en sommeil paradoxal, causant une activité motrice anormale qui mène à l’agitation nocturne. Comme le révèle l’expérience du Dr Jouvet chez le chat, le TCSP est causé par une destruction naturelle des neurones d’une petite région du tronc cérébral nommée locus coeruleusresponsable de l’inhibition motrice* durant le sommeil REM. La personne est ainsi libre de mimer le contenu de ses rêves, et ce, de manière tout à fait inconsciente. Les comportements qui en découlent sont parfois vigoureux et violents, mettant en danger et à risque de blessures la personne et celle partageant son lit.

Un prédicteur prometteur

Alors que l’espérance de vie augmente, la prévalence des maladies neurodégénératives poursuit son ascension dans la population mondiale, représentant un problème majeur en matière de santé publique. De surcroît, les maladies neurodégénératives débutent généralement de manière insidieuse, et les signes précoces sont souvent si subtils qu’ils passent sous silence. En effet, la maladie de Parkinson est diagnostiquée lorsque les premiers symptômes moteurs (tremblements, rigidité, lenteur et trouble de la démarche) deviennent apparents. Cependant, à ce moment, plus de la moitié des neurones de la substance noire*, la région du cerveau mise en cause dans cette maladie, sont déjà détruits. Grâce à son apparition précoce, le TCSP se révèle un indice majeur pour prédire le développement de la maladie de Parkinson et de la démence à corps de Lewy. En effet, ce trouble du sommeil peut se manifester jusqu’à 25 ans avant les symptômes apparents de ces maladies.

 

Il ne fait aucun doute qu’un diagnostic précoce d’une maladie neurodégénérative revêt une importance capitale à plusieurs égards. Détectée trop tardivement, elle place la personne à risque d’une détérioration de son état de santé, de complications médicales et d’enjeux financiers, pour ne citer que quelques exemples. Dans l’attente d’une cure, le diagnostic précoce rend donc possible une meilleure prise en charge médicale via des interventions plus ciblées et individualisées. Celles-ci visent à ralentir la progression de la maladie, compenser les difficultés cognitives et motrices, et retarder le besoin d’institutionnalisation. Qui aurait pu imaginer, il y a plus de 60 ans, qu’un chat agité et rêveur dans un laboratoire de sommeil apporterait une lueur d’espoir aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives?

Lexique

 

Démence à corps de Lewy : Maladie neurodégénérative caractérisée par la présence de troubles cognitifs, d’hallucinations visuelles et de symptômes moteurs ressemblant à ceux de la maladie de Parkinson, mais survenant plus tardivement dans l’évolution de la maladie.

Déclin cognitif : Altération d’une ou de plusieurs fonctions cognitives comme la mémoire, l’attention, la planification, etc. Un déclin cognitif important peut ainsi engendrer des difficultés à se souvenir d’événements récents, à suivre des conversations ou à accomplir des tâches quotidiennes.

Inhibition motrice : Capacité de bloquer l’activité musculaire.

Substance noire : Petite région du cerveau impliquée dans le contrôle des mouvements. Elle produit une substance chimique appelée dopamine, laquelle est essentielle à l’activité motrice.

Mariko Trépanier Maurais

Mariko est étudiante au doctorat en psychologie, option neuropsychologie, à l’Université du Québec à Montréal, combinant la formation en recherche et en intervention clinique. Particulièrement intéressée par la gérontologie, Mariko poursuit ses études aux cycles supérieurs en travaillant sur le diagnostic précoce de la maladie de Parkinson et de la démence à corps de Lewy via le trouble comportemental en sommeil paradoxal. En dehors de l’université, tu retrouveras certainement Mariko en train de faire une course au Mont-Royal ou bien installée à la bibliothèque pour lire un de ces polars réconfortants. Amatrice de plein air, elle est toujours partante pour retourner dans sa région adorée du Saguenay–Lac-Saint-Jean!

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