En recevant leur copie d’examen, combien se sont déjà dit : « Oh non, je le savais ! » Que ce soit au primaire, au secondaire ou même à l’université, tous et toutes se rappelleront avoir commis des erreurs qui portent sur des notions pourtant élémentaires. En fait, certaines erreurs ont tendance à être récurrentes et à persister parfois même jusqu’à l’âge adulte1, 2. Par exemple, à l’écrit, des personnes de tous âges font cette erreur4 : « Je les aimes ». Ajouter un « s » au mot qui suit « les » est un automatisme fortement ancré et il est difficile d’y résister4. Face à un problème du type « Simon a 25 billes. Il en a 5 de plus que Julia. Combien Julia a de billes ? », plusieurs personnes auront tendance à répondre 30 au lieu de 20, et ce, quel que soit leur niveau d’expertise en mathématiques5, 6. Ici, ce sont les mots « de plus » qui mènent spontanément l’élève qui doit résoudre le problème à additionner. Pourtant, dans certains contextes, il faut résister à cette stratégie intuitive5, 6. Les erreurs dans lesquelles un automatisme ou une stratégie intuitive entrent en jeu touchent toutes les disciplines scolaires3, et pour cause : les automatismes sont très nombreux et souvent utiles7. Cependant, dans certains cas, ceux-ci mènent à commettre des erreurs qui ne sont pas forcément liées à un manque de connaissances de la part de l’élève. Ce type d’erreur serait plutôt causé par un processus cognitif qui joue un rôle central dans les apprentissages et le raisonnement, mais qui demeure relativement peu connu en éducation : le contrôle inhibiteur, aussi appelé inhibition1, 2.
Dans le langage courant, « l’inhibition » est souvent perçue comme une drôle d’appellation qui peut faire référence à toutes sortes de réalités. En fait, le contrôle inhibiteur* est l’une des principales fonctions exécutives*8, 9. Nous pouvons le décrire comme étant un processus cognitif qui permet de résister aux automatismes, aux stratégies intuitives et aux pièges1, 2 qui interfèrent avec les connaissances que l’élève doit mobiliser en fonction du contexte10. Le contrôle inhibiteur joue un rôle central dans plusieurs apprentissages scolaires fondamentaux, comme les sciences11, 12, 13, la lecture14, la résolution de problèmes5, 6, les mathématiques15, 16 et l’orthographe17.
Le lièvre et la tortue
Des recherches récentes utilisant des technologies comme l’imagerie cérébrale appuient une théorie, répandue depuis plusieurs années7, 18, à l’effet que deux systèmes de pensée peuvent coexister chez une même personne1, 2, 7, 18, 19. Le premier système de pensée est plus intuitif, rapide et automatisé18, 19. C’est ce système de pensée qui est utilisé spontanément lorsque nous devons raisonner dans notre quotidien; celui-ci est d’ailleurs assez efficace et nous fait souvent prendre de bonnes décisions. Pour être fonctionnel dans la vie quotidienne, il faut pouvoir raisonner intuitivement et rapidement7; autrement, chaque décision que nous prenons serait totalement épuisante7 ! Par ailleurs, le fait que ce système de pensée soit souvent efficace contribue à le renforcer. Ainsi, les réseaux de neurones qui sous-tendent les automatismes et les intuitions ont tendance à devenir robustes20 et, conséquemment, à s’activer encore plus spontanément, ce qui a comme inconvénient de mener à des erreurs dans certains contextes1, 2, 3.
Le deuxième système de pensée est plus logique1, 2, 7. Son utilisation demande un effort cognitif plus important, mais mène à une réponse appropriée et adaptée au contexte1, 10. Pour accéder à ce deuxième système de pensée, le contrôle inhibiteur doit intervenir pour permettre à l’individu de résister au premier système de pensée qui a tendance à s’activer automatiquement1, 7. D’une certaine façon, le contrôle inhibiteur est comme un arbitre : il permet de résister aux nombreux automatismes pour sélectionner et mobiliser une réponse plus adaptée au contexte, mais dont l’utilisation est moins spontanée1, 2. Dans certains contextes, même les experts peuvent avoir besoin d’inhiber certaines intuitions6, 21. Autrement dit, il semble que ni l’expertise ni l’éducation ne parviennent à éradiquer les automatismes, car ceux-ci sont trop fortement ancrés21. Ainsi, le contrôle inhibiteur joue un rôle essentiel dans le raisonnement, l’apprentissage et, par extension, la réussite scolaire2, 3 puisque ce processus permet d’outrepasser ses pensées intuitives.
Apprendre à résister
Une question intéressante à adresser comme enseignant consiste à savoir s’il est possible d’aider les élèves à mobiliser davantage leur contrôle inhibiteur afin de mieux résister à leurs automatismes et à leurs intuitions2, 3. Malheureusement, la réponse n’est pas si claire à ce jour. D’abord, il semble qu’il ne soit pas possible d’augmenter l’efficacité générale de son contrôle inhibiteur22, 23. Une piste de solution plus prometteuse consisterait à aider les élèves à s’améliorer dans un contexte précis ou dans une tâche spécifique qui requiert du contrôle inhibiteur23, 24. En ce sens, entrainer les élèves à identifier eux-mêmes ou elles-mêmes les pièges semble donner des résultats intéressants25, 26. À titre d’exemple, une étude menée auprès d’enfants du préscolaire a montré qu’un entrainement au moyen d’un dispositif appelé l’attrape-piège avait un impact positif sur l’apprentissage du comptage, comparativement à l’enseignement régulier26. Également, des alertes émises par l’enseignant·e, du type : « Attention, il y a un piège ! Vous devez y résister… », semblent donner des résultats prometteurs, car elles augmentent la vigilance cognitive de l’élève27. Les recherches des prochaines années pourront sans doute proposer d’autres pistes d’intervention.
Bien que certains aspects de la cognition humaine qui sous-tendent les apprentissages demeurent méconnus à ce jour, les connaissances actuelles concernant le contrôle inhibiteur et, plus largement, les fonctions exécutives, gagneraient à être diffusées davantage auprès des enseignant·e·s. Les pistes d’intervention pédagogiques issues de recherches multidisciplinaires sont assurément pertinentes, d’une part, pour améliorer l’enseignement des notions pour lesquelles des automatismes interfèrent avec les notions à acquérir et, d’autre part, pour favoriser l’apprentissage et la réussite2, 3, 26, 27.
Lexique
Fonctions exécutives : Ensemble de processus de contrôle de haut niveau qui régulent les pensées et les comportements d’une personne pour atteindre un objectif8, 9.
Contrôle inhibiteur : Une des principales fonctions exécutives8, 9 qui implique la capacité de contrôler ses pensées et ses comportements. Plus spécifiquement, le contrôle inhibiteur est la capacité de résister aux réponses mentales ou motrices dominantes, habituelles, automatiques ou intuitives1, 2, 9. Ce faisant, il permet la sélection de réponses alternatives, plus logiques et plus adaptées au contexte, même si celles-ci sont moins automatiques1, 2, 10.
Références
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Découvre l'autrice
Élizabeth Bélanger
Élisabeth Bélanger est enseignante au préscolaire et au primaire et étudiante à la maîtrise en éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa pratique enseignante l’a amenée à s’intéresser aux processus cognitifs impliqués dans les apprentissages réputés difficiles, ainsi qu’aux rôles des fonctions exécutives dans la réussite éducative. Élisabeth est également superviseure de stages à l’UQAM ; elle accompagne les futur·e·s enseignant·e·s dans le développement de leurs compétences professionnelles.
1 Comment
Bravo Elisabeth! Texte clair, riche et très intéressant. Tu contribueras à favoriser des apprentissages et de belles stratégies chez les enseignantes. Quel beau rôle!
Au plaisir,