Personnaliser pour mieux traiter la douleur

Matthieu Vincenot

Étudiant au doctorat au programme de recherche en sciences de la santé

Personnaliser pour mieux traiter la douleur

Matthieu Vincenot

Étudiant au doctorat au programme de recherche en sciences de la santé

La douleur chronique affecte des millions d’individus dans le monde. Elle résulte entre autres d’un déséquilibre entre les mécanismes qui accentuent la douleur et ceux qui la réduisent. Ce déséquilibre, propre à chaque individu, est toutefois un indicateur intéressant. En effet, il permettrait l’identification du mécanisme douloureux déficitaire afin de pouvoir enfin prescrire le bon médicament à la bonne personne.

Un nombre sur lequel il convient d’attirer votre attention, c’est le 70. Soixante-dix pour cent est la proportion de patient·e·s qui souffrent de douleur chronique, mais qui ne sont pas adéquatement soulagé·e·s par leurs médicaments. Pour autant, la médication demeure la principale ligne de défense contre les douleurs chroniques. Ce paradoxe souligne une question importante, pourquoi est-ce que ça ne fonctionne pas? La réponse est simple. Tout le monde n’a pas mal pareil. Et il ne s’agit pas des différences entre les personnes qui ont mal au genou, qui ont mal au dos, ou qui ont mal à la tête. Il s’agit ici de différences en tant qu’individu, de différences à l’intérieur de notre corps.

Un peu d’histoire

Pour qu’un médicament soit le plus efficace, il faut donner le bon, à la bonne personne. Cependant, comment déterminer quel médicament convient à qui? Pour répondre à cette question, il faut faire un bond dans le passé. Au 17e siècle, un grand scientifique qui s’appelait René Descartes, imaginait la douleur comme quelque chose de très linéaire. Une information sensorielle qui part d’un point A (l’endroit où l’on ressent la douleur) et qui arrive identique à un point B (notre cerveau). En fait, René Descartes envisageait que lorsque nous nous blessions, notre corps activait un système de cordes et de poulies qui actionnait une petite sonnette dans notre cerveau pour nous alerter du danger. Pauvre Descartes, il était bien loin de la vérité. Après tout, il a fait de son mieux avec les moyens dont il disposait. Aujourd’hui, avec l’avènement des nouvelles technologies et notamment la possibilité de voir notre cerveau en fonctionnement, nous savons que la douleur est un système plus compliqué que cela, car il fait appel à un très grand nombre de réseaux de neurones.

Une question d’équilibre

Le long de son trajet, le message douloureux va être modulé, c’est-à-dire qu’il va changer. Il va, par exemple, changer de sens. Il monte au cerveau, redescend à la moelle épinière et de nouveau remonte au cerveau où il va être traité. Mais il peut surtout changer d’intensité. D’un côté, il y a des mécanismes qui accentuent l’intensité de la douleur pour la rendre plus forte et nous alerter du danger. On parle alors des mécanismes de sensibilisation. De l’autre côté, il y a des mécanismes qui tendent à diminuer, voire bloquer la transmission du message douloureux. On parle alors des contrôles inhibiteurs. La douleur c’est finalement une question d’équilibre entre ces mécanismes.

 

Cependant, cet équilibre est fragile. Dans les cas de douleurs chroniques, il peut être compromis. On observe alors soit une sensibilisation excessive où l’information est transmise de manière trop efficace et rapide, soit un manque de contrôles inhibiteurs pour stopper la transmission du message. Ce déséquilibre est connu sous le nom de profil de modulation de la douleur.

Rééquilibrer la balance

Ce profil de modulation est propre à chaque individu. Ceci est intéressant, car cela suggère qu’avec un traitement spécifique et personnalisé visant à rééquilibrer ces mécanismes, on pourrait enfin obtenir une efficacité optimale pour soulager la douleur.

 

Prenons un exemple. Karine est une femme de 40 ans souffrant de douleur dans le bas du dos depuis plusieurs années. Imaginons un instant que son profil de modulation montre qu’il y a trop de sensibilisation. Si un médicament contre la sensibilisation qui réduit l’hyperexcitabilité de son système nerveux lui est donné, Karine devrait alors retrouver un état d’équilibre. Imaginons maintenant que Karine n’ait pas assez de contrôles inhibiteurs. Donner un médicament contre la sensibilisation ne procurera pas un soulagement optimal et pourrait même aggraver le déséquilibre. En revanche, administrer un médicament pour renforcer les contrôles inhibiteurs assurera une efficacité optimale en rééquilibrant la balance.

Mais alors pourquoi ne le fait-on pas ?

Dans ce contexte, peut-être vous demandez-vous pourquoi cette approche n’est pas plus couramment utilisée? Est-ce si difficile de mesurer un profil de modulation de la douleur?

 

Difficile, pas vraiment. Il existe plusieurs méthodes pour mesurer un profil. Cependant, ces techniques prennent du temps, impliquent de subir plusieurs stimulations douloureuses, nécessitent du matériel spécifique et sécuritaire, ainsi que du personnel qualifié. De ce fait, elles sont assez dispendieuses.

 

La technique qu’on utilise couramment dans le domaine de la recherche permet aux personnes chercheuses de développer quotidiennement de nouvelles connaissances sur le profil de modulation et sur les douleurs chroniques. Cependant, cela laisse encore aujourd’hui les personnes professionnelles de santé sans outils pratiques simples à utiliser lors des consultations.

 

Personnaliser pour mieux traiter la douleur, ce n’est pas une utopie, c’est l’avenir. C’est d’ailleurs ce sur quoi je travaille dans le cadre de ma thèse de doctorat. Je m’efforce de simplifier cette méthode longue et dispendieuse. En proposant aux professionnel·le·s de la santé une méthode plus simple et plus pratique tel qu’un questionnaire ou encore une simple prise de sang, ils et elles pourront être davantage en mesure d’utiliser le profil de modulation pour personnaliser au mieux les traitements.

Matthieu Vincenot

Matthieu est étudiant au doctorat au programme de recherche en sciences de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il cherche à mieux comprendre comment les mécanismes neurophysiologiques de la douleur interagissent entre eux pour, à terme, optimiser la prise en charge thérapeutique dans les douleurs chroniques. En dehors du laboratoire, vous croiserez probablement Matthieu au sommet d’un mont ou en train de descendre une rivière.

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