L’exploration spatiale, une question de santé mentale

Julie Rocheleau

Étudiant.e au doctorat en psychologie

L’exploration spatiale, une question de santé mentale

Julie Rocheleau

Étudiant.e au doctorat en psychologie

Bien que l’idée de flotter en microgravité fascine les jeunes et les moins jeunes, l’espace n’est pas sans danger pour la santé psychologique des astronautes. Le stress associé à l’isolement, au confinement et à la grande charge de travail peut mener à des symptômes dépressifs, des troubles du sommeil ainsi que des tensions interpersonnelles. Les missions futures vers la Lune et Mars présentent des défis psychologiques inexplorés, car il sera impossible d'utiliser certains des moyens actuels pour préserver la santé mentale des astronautes.

Imaginez-vous vivre et travailler pendant deux ans avec les mêmes trois à quatre personnes, dans un vaisseau spatial exigu, et ce, à des millions de kilomètres de la Terre. Stressant, non? Pourtant ce n’est pas un film de science-fiction, mais plutôt ce à quoi les astronautes qui s’aventureront vers Mars vont être confronté·e·s. Pour citer Dans une Galaxie près de chez vous, bien que « la main de l’Homme n’ait jamais mis l’pied » sur Mars, l’humain habite dans l’espace depuis plus de 20 ans. Même si la Station spatiale internationale n’est qu’à 400km de la Terre, le stress lié à l’isolement et au confinement atteint un niveau extrême. Pendant six mois à un an, les personnes astronautes sont séparées de leurs proches, mais aussi du reste de l’humanité. Elles vivent et travaillent dans un environnement clos, sans possibilité de sortir prendre l’air. En autonomie totale, les astronautes ont une charge de travail colossale. Leurs tâches sont variées et complexes, que ce soit de mener une expérience scientifique, de faire une sortie spatiale ou de réparer les toilettes. Le travail en orbite demeure stressant même pour les personnes astronautes rigoureusement entrainées.

Les risques de la vie extra-terrestre

Le stress vécu lors de missions spatiales peut entraîner des symptômes dépressifs et d’anxiété ainsi qu’une diminution de l’humeur. Comme vous l’avez peut-être constaté pendant la pandémie de COVID-19, être confiné avec les mêmes personnes dans un espace restreint peut être difficile. La grande proximité, l’absence de vie privée et la monotonie sociale peuvent mener à des tensions interpersonnelles même au-delà de la Terre. Dans son journal de bord, une personne astronaute écrit :

 

« Je suis maintenant plutôt frustré·e par mes collègues. […] l’un d’entre eux continue de ne pas faire ce qu’il est censé faire. De petites choses qui finissent par devenir importantes – ne pas passer l’aspirateur sur les rasoirs quand c’est son tour, laisser des choses ouvertes sur l’ordinateur, changer les paramètres de la caméra dans la coupole ».

 

Le stress du travail et le cycle jour/nuit de 90 minutes perturbent le sommeil des astronautes. Même s’il n’est pas réellement possible de se lever du mauvais pied en microgravité, les troubles de sommeil et la fatigue sont communs. Dormir moins d’heures par jour réduirait le temps de réaction des astronautes, ce qui pourrait entraîner de sérieuses conséquences dans l’espace. En effet, les astronautes doivent être en mesure de réagir rapidement à tous types d’imprévus, comme un risque de collision avec des météorites ou des alarmes d’urgence. Le cumul des défis spatiaux est proportionnel à la durée du séjour dans l’espace. Ainsi, un voyage vers Mars laisse présager des défis psychologiques astronomiques. 

Trouver l’équilibre en l’absence de gravité

Actuellement, les astronautes bénéficient de divers moyens pour assurer le maintien de leur santé psychologique dans l’espace. Après une journée de travail spatial, il est possible de se détendre grâce à diverses activités de loisirs. Certain·e·s aiment jouer de la musique, lire, faire de l’art ou écouter leurs divertissements préférés. Les anniversaires et les célébrations, comme Noël et le Jour de l’an, sont de bonnes occasions pour l’équipage de festoyer autour d’un repas. Les récentes avancées scientifiques permettent de faire pousser des tomates et de la laitue en microgravité. Étonnant de penser qu’une salade spatiale puisse contribuer au bien-être des astronautes. Après tout, les aliments frais se font rares dans l’espace. Ce contact avec la nature contraste avec l’environnement artificiel de la station spatiale. Afin de réduire le sentiment d’isolement, les astronautes correspondent quotidiennement avec leurs proches par courriels, appels téléphoniques ou visioconférences. L’actualité et des compétitions sportives peuvent être retransmises en direct dans l’espace. Les astronautes apprécient particulièrement observer et photographier la Terre depuis la Coupole. En contemplant notre planète bleue, plusieurs rapportent ressentir une profonde connexion avec la Terre et l’humanité. Ce phénomène, appelé l’effet de vue d’ensemble, est également associé à des changements positifs d’attitudes et de comportements. Du soutien psychologique par visioconférence est également offert aux astronautes. Tous les mois, au moins deux rencontres sont prévues avec un·e psychologue. Même si le stress à bord de la Station spatiale international est extrême, plusieurs mesures sont mises en place pour favoriser le bien-être psychologique des astronautes.

Figure 1L’astronaute français Thomas Pesquet entretient le « jardin » de la Station spatiale internationale.

Note. Tiré de Plant Habitat-04 Debris Removal, par Nasa, 2021, image en ligne, Nasa. https://images.nasa.gov/details/iss065e39860 © 2021 par la Nasa.

Figure 2L’astronaute américaine Megan McArthur lisant un livre dans la coupole.

Note. Tiré de iss065e235640, par l’Agence spatiale canadienne, 2021, image en ligne, Nasa. https://images.nasa.gov/details/iss065e235640 © 2021 par Nasa.

Figure 3L’astronaute canadien David Saint-Jacques photographie la Terre depuis la Station spatiale internationale.

Note. Astronaut David Saint-Jacques of the Canadian Space Agency, 2019, image en ligne, NASA. https://images.nasa.gov/details/iss058e003901 © 2019 par NASA.

La psychologie à la conquête de l’espace lointain

Tous ces moyens permettent de naviguer le stress en orbite basse et semblent efficaces pour atténuer les conséquences psychologiques de l’espace. Lors d’un voyage vers Mars, il ne sera pas possible d’observer la Terre ni de communiquer avec ses proches en temps réel, car la distance sera bien trop grande. L’expression « avoir le mal du pays » prendra un tout autre sens, car vue de Mars, la Terre n’est qu’une petite étoile dans le ciel. Même en voyageant à la vitesse de la lumière, il faudrait 20 minutes pour qu’un simple courriel parcoure la distance d’une surface à l’autre. Avec une distance moyenne de 225 millions de kilomètres entre la Terre et Mars, l’équivalent de faire 5 600 tours de la Terre, un voyage aller-retour sur la planète rouge durera plus de deux ans !  Ainsi, les astronautes qui s’y aventureront seront exposé·e·s à un niveau d’isolement et de confinement inédit.

 

Le départ du premier Canadien vers la Lune en 2025 marque la première étape vers l’exploration de Mars prévue en 2035. Ces missions impliquent de repousser la résilience humaine à l’extrême. Comment l’humain parviendra à s’adapter au-delà de l’orbite basse? Quelles mesures seront efficaces pour maintenir la santé psychologique dans l’espace lointain? Ce sont des questions auxquelles plusieurs équipes de recherches tentent de répondre ici même sur Terre, mais le voyage ne fait que commencer.

Figure 4. Vue de Mars la Terre n’est qu’une étoile dans le ciel.

Note. Astronaut David Saint-Jacques of the Canadian Space Agency, 2019, image en ligne, NASA. https://images.nasa.gov/details/iss058e003901 © 2019 par NASA.

Découvre l'auteur.trice

Julie Rocheleau

Julie étudie au doctorat en psychologie du travail et des organisations. Passionné·e par l’exploration spatiale, sa thèse doctorale porte sur la santé psychologique dans les environnements de travail isolés, confinés et extrêmes, comme les stations de recherche polaires ou le milieu spatial. Enrichi·e de collaborations internationales, Julie souhaite contribuer à la recherche en santé spatiale au Canada.

(Visited 7 times, 1 visits today)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *