Les Montréalais⸱e⸱s s’unissent pour faire parler la pluie

Cécile Carton

Étudiante au doctorat en sciences de la Terre et de l’atmosphère

Les Montréalais⸱e⸱s s’unissent pour faire parler la pluie

Cécile Carton

Étudiante au doctorat en sciences de la Terre et de l’atmosphère

À travers le réseau participatif Collect’O UQAM1, les citoyen⸱ne⸱s du Grand Montréal se mobilisent depuis l’été 2021 aux côtés des chercheur·euse·s du Geotop* pour faire progresser la recherche sur l’impact de l’urbanisation sur les précipitations. En collectant la pluie et la neige depuis leur domicile, ils et elles contribuent à mieux comprendre et anticiper comment nos activités du quotidien influent sur les risques naturels urbain​​s, tels que vagues de chaleur, pollution et inondations. L’intérêt ? Sensibiliser la population et concevoir des villes plus résilientes, pour protéger les habitant·e·s les plus exposé·e·s.

Elle ne te le dit pas, mais elle souffre. Sa température est élevée, elle a de plus en plus de mal à respirer. Son état ne fait que se dégrader, pourtant, tu ne sais pas ce dont elle est atteinte, ni même si tu pourrais toi aussi être malade à force de la fréquenter. Tu l’as vue vieillir, évoluer, se moderniser. Qu’elle fasse partie de ton quotidien ou que tu la visites une fois dans l’année, que tu cherches à tout savoir d’elle ou au contraire à l’éviter. C’est ta ville, et elle est simplement déshydratée.

Depuis les dernières années, la population mondiale et l’urbanisation s’accroissent de façon simultanée. Au Québec, ce sont 8 personnes sur 10 qui habitent aujourd’hui en ville. Pour accueillir cette population de plus en plus nombreuse, les surfaces des zones urbaines ont été étendues ou densifiées. Entre 2001 et 2021, la superficie urbanisée de la région métropolitaine de Montréal s’est étendue de 30 %.

La recherche scientifique a déjà pu montrer que l’urbanisation bouleverse le climat des villes, et notamment la formation et la trajectoire des précipitations locales telles que la pluie, la neige et le verglas. Mais nous peinons encore à nous accorder sur la nature, l’intensité et l’origine de ces changements. À travers le réseau participatif Collect’O, une cinquantaine de citoyennes du Grand Montréal se liguent aux scientifiques de l’UQAM pour mieux identifier et comprendre l’impact de nos villes sur les précipitations.

À vos marques, prêt⸱e⸱s, collectez !

Depuis septembre 2021, les évènements météorologiques de toutes saisons, de la plus petite tempête de neige hivernale aux grosses pluies orageuses d’été, sont échantillonnés simultanément par les participantes du réseau. Les scientifiques du Geotop* analysent ces échantillons pour comparer le poids des molécules d’eau contenues dans les précipitations collectées en ville par rapport à celles collectées dans les zones moins urbanisées.

Attention ! Toutes les molécules d’eau sont acceptées comme elles sont, ce n’est pas de body-shaming dont il est ici question. Mais d’un côté pragmatique, la facilité avec laquelle les molécules réagissent à différents processus physiques dépend directement du poids de ces dernières. À titre d’exemple, ce sont les molécules d’eau les plus légères qui s’évaporent préférentiellement, tandis que les plus lourdes sont plus sujettes à la condensation. Les molécules les plus lourdes se retrouvent donc naturellement dans les premières précipitations formées par un nuage, alors que les plus légères ont la capacité d’y résider plus longtemps, et donc de se déplacer sur de plus longues distances ! Ainsi, au cours des dernières années, la recherche a montré que le poids des molécules d’eau contenues dans les précipitations nous donne des renseignements sur leur histoire, et permet de retracer les différents processus qu’elles ont subis durant leur formation et leur transport. C’est par cette approche que Collect’O vise à identifier les différents processus qui influencent la trajectoire des précipitations en ville, ce qui n’avait encore jamais été réalisé jusqu’à présent !

La conception de nos villes à la loupe

Plusieurs processus physiques et chimiques issus de notre quotidien sont susceptibles de modifier le climat des villes. En premier lieu, les matériaux imperméables utilisés pour construire nos rues et nos bâtiments, comme le béton et l’asphalte, ont une grande capacité d’absorption de la chaleur. C’est principalement de leur fait si les températures sont plus élevées en ville que dans les zones rurales, ce qui rend nos étés suffocants, mais favorise aussi l’évaporation des précipitations ! En parallèle, ce phénomène d’ilot de chaleur urbain, ainsi que l’architecture de plus en plus dense de la ville, modifie la circulation locale de l’air. Mais ce sont également des activités qui nous paraissent aussi banales que de prendre les transports, ou bien chauffer ou climatiser nos maisons, qui sont à l’origine d’émissions de vapeur d’eau et d’aérosols directement dans l’atmosphère

Les études menées jusqu’ici ont montré que ces altérations de l’atmosphère par l’environnement urbain perturbent la trajectoire et les mécanismes de formation naturelle des précipitations. Cependant le milieu urbain est remarquablement hétérogène en termes d’aménagement et d’activités humaines, que ce soit d’une rue ou même d’une heure à l’autre. Cela rend difficile d’utiliser les méthodes de mesure traditionnelles (pluviomètres, radars) pour comprendre comment les précipitations sont affectées. Par le biais de Collect’O, les participantes permettent aux scientifiques de lire la mémoire de l’eau afin d’avoir directement sa version des faits.

Au service de ta santé

Les précipitations ont plus d’impact que tu ne le penses sur ton quotidien. Bien que déplaisante au premier abord, la pluie est la première à s’activer pour laver l’atmosphère de la ville lorsqu’elle la trouve trop polluée. Un peu trop chaud cet été ? Tel un système de climatisation dernier cri, la pluie se sacrifie pour absorber la chaleur et t’en mettre à l’abri. L’hiver, c’est la neige qui se charge de protéger ton jardin du gel, telle une douce couverture de laine. Plus condamnable, c’est à de nombreuses reprises qu’on a vu la pluie tenter de créer une nouvelle piscine dans ton quartier, peut-être pour se faire pardonner de t’avoir empêchée d’aller au parc dimanche dernier.

Mieux comprendre et donc prévoir le comportement des précipitations en ville nous permettra de nous adapter aux risques naturels urbains (vagues de chaleur, pollution, inondations). Pour le moment, ce sont au Québec plus de 4000 citoyennes qui meurent de problèmes respiratoires dus à la pollution de l’air chaque année.

En participant au projet Collect’O, les habitant.e.s du Grand Montréal contribuent à témoigner de l’impact de nos modes de vie sur notre environnement et notre santé. Ils et elles sensibilisent ainsi non seulement les citadines les plus vulnérables, mais aussi les décideures politiques. Dans le but de concevoir des villes plus résilientes, de nombreuses recommandations ont déjà été émises, notamment afin de réduire l’exposition des citadin.e.s à la pollution. Cependant, ces mesures ne considèrent pas les interactions entre précipitations et risques naturels urbains, puisque celles-ci ne sont pas encore assez bien comprises et documentées. Lorsque nous en aurons une vision plus éclairée, peut-être apparaitra-t-il alors judicieux pour les villes de réguler l’impact des différents quartiers sur les précipitations, et envisageable pour leurs habitant.e.s de prendre cette information en compte lors du choix de leur lieu d’habitation.

Lexique

Geotop : centre de recherche sur la dynamique du système Terre, créé en 1974 par des chercheurs du département des Sciences de la Terre de l’UQAM

Découvre l'autrice

Cécile Carton

Doctorante engagée face aux enjeux climatiques, Cécile pilote le réseau Collect’O pour comprendre l’impact de nos modes de vie sur les précipitations en milieu urbain, tout en favorisant le dialogue entre chercheur·e·s et grand public. De nature curieuse et aventureuse, si vous ne la trouvez pas sur son tapis de yoga dans une posture insolite, c’est qu’elle s’est lancée en quête de nouvelles expériences pour dépasser ses limites.

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