Environ 93 % des adultes sondés aux États-Unis ont déclaré ressentir de l’anxiété face aux mathématiques d’après une étude publiée en 2018. Plusieurs raisons expliquent cette statistique comme l’exposition constante à l’idée que les mathématiques sont complexes et qu’elles manquent d’applications dans la vie réelle. Pourtant, elles jouent un rôle essentiel dans le développement des sociétés. Souvent perçues comme “trop abstraites”, et si le problème résidait dans le manque d’exposition aux applications des mathématiques? Et si les mathématiques étaient en réalité bien plus utiles qu’elles ne le sont présentées?
Un des exemples frappants du service que les mathématiques peuvent rendre aux sciences biologiques est l’aide qu’elle fournit à mieux comprendre des structures aussi fondamentales que l’ADN. En effet, il se trouve que cette molécule peut avoir une forme de nœud, une forme qui attise indéniablement la curiosité des mathématiciens et des mathématiciennes. C’est une preuve indéniable qu’une approche interdisciplinaire peut s’avérer fructueuse pour résoudre les problèmes scientifiques les plus complexes de notre époque.
Les mathématiques permettent de comprendre les nœuds formés par l’ADN
Les scientifiques du XXe siècle se sont interrogé·e·s sur l’incidence de la forme de l’ADN sur le fonctionnement de la cellule dans laquelle il réside. Dans leurs activités de recherche, le professeur en biochimie et de biologie de l’Université de Harvard, James Wang et plusieurs autres collègues chercheurs ont constaté que la forme nouée de l’ADN caractérise son fonctionnement. En somme, le fonctionnement de l’ADN sera différent suivant la forme qu’il revêtira.
Certaines personnes mathématiciennes sont spécialisées dans l’étude des nœuds, c’est-à-dire dans l’étude des courbes fermées. Un nœud mathématique peut être imaginé comme une corde, parfois enroulée sur elle-même plusieurs fois, dont les extrémités sont jointes de façon invisible. Par exemple, un cercle est un nœud dit trivial, puisque c’est le nœud le plus simple que nous pouvons réaliser. Les nœuds sont très importants en mathématiques puisqu’ils entretiennent des liens forts et prononcés avec d’autres branches des mathématiques et qu’ils admettent de nombreuses applications en physique théorique ainsi qu’en biologie.
En mathématiques, deux nœuds sont dits équivalents s’il est possible de les transformer l’un dans l’autre en les étirant, les tordant ou les pliant, le tout sans les rompre. Bien que la question de savoir si deux nœuds sont équivalents puisse sembler simple, elle est en réalité extrêmement complexe. Une des pistes de résolution consiste à associer à chaque nœud une quantité (un nombre, un espace …) qui reste identique pour tous les nœuds équivalents. Des quantités différentes permettent alors d’affirmer que deux nœuds sont différents, et donc qu’ils ne sont pas équivalents. Cette notion d’équivalence permet donc de classer les nœuds.
Les types de nœuds formés par l’ADN
Grâce à la collaboration entre les mathématiciens et les biologistes du XXe siècle, la communauté scientifique de l’époque s’est rendu compte qu’il existait trois grandes catégories de nœuds que l’ADN peut former. L’ADN peut avoir la forme d’un nœud, comme nous venons tout juste de le définir, c’est-à-dire comme un cercle noué sur lui-même de façon non triviale.
L’ADN peut également former ce qu’on appelle la forme d’un entrelac, qui se définit comme étant un enchevêtrement de plusieurs nœuds. Nous pouvons penser simplement à deux alliances entrelacées : c’est l’exemple d’entrelac le plus simple que nous pouvons avoir en tête.
Enfin, l’ADN peut former un cercle dit « à ressort ». Nous pouvons imaginer une corde fermée, dont nous tenons les extrémités dans chacune de nos mains. En faisant rouler la corde plusieurs fois vers nous seulement avec notre main droite, nous obtenons un cercle « à ressort » !
Un peu d’histoire sur la découverte de l’ADN
Depuis 1944, il est connu que les chromosomes, ces petits bâtonnets qui se forment lors de la division cellulaire, contiennent une molécule bien spéciale appelée l’acide désoxyribonucléique ou ADN. C’est le bactériologiste Thomas Avery qui a fait cette découverte. Il s’en suit une véritable course pour déchiffrer les énigmes qui se cachent derrière cette fameuse molécule !
Le 25 avril 1953 est un jour important dans l’histoire de la science. Deux jeunes chercheurs, James Watson et Francis Crick publient leur fameux article dans lequel ils révèlent la structure de l’ADN. L’article, constitué pourtant d’une seule page, est une révolution dans le monde scientifique et suscite un engouement phénoménal pour la biologie.
La configuration de l’ADN peut être visualisée comme une fermeture éclair puisque bien souvent, l’ADN se constitue de deux brins qui tournent l’un autour de l’autre reliés par des barreaux, lui attribuant une forme de double hélice (Figure 1). Depuis les travaux de Watson et Crick, la communauté scientifique sait que toute l’information génétique des êtres vivants se trouve dans ces dits barreaux. Support de toute notre information génétique, l’ADN est véritablement la molécule de l’hérédité !

Figure 1. Une représentation schématique de l’ADN à double-hélice
Vers la fin du XXe siècle, des scientifiques ont réalisé que ces molécules pouvaient en fait avoir une structure totalement différente : c’est la découverte de l’ADN circulaire ! Comme son nom l’indique, l’ADN peut donc également avoir la forme d’un cercle, possiblement noué sur lui-même.
Des mathématiciens et mathématiciennes se spécialisent dans l’étude des nœuds
Comme le type de nœud formé par l’ADN détermine son fonctionnement dans la cellule, il est primordial de comprendre les nœuds et de percer leur mystère. C’est le travail de certains mathématiciens et mathématiciennes, qui ont décidé de se spécialiser dans ce qu’on appelle « la théorie des nœuds ».
Bien que les mathématiques soient un outil merveilleux pour l’avancée des connaissances dans d’autres sciences, il ne faut pas oublier qu’elles sont dotées d’une beauté intrinsèque et qu’elles sont également utiles à leur propre développement. Elles nous permettent d’explorer une réalité extraordinaire dans un langage unique et universel. L’accumulation de découvertes et de connaissances en mathématiques nous aide à appréhender de nouvelles vérités. Enfin, les mathématiques nous autorisent quelques fois à condenser en quelques équations, la beauté du monde. D’un point de vue pragmatique, elles nous permettent de cultiver notre pensée critique et de développer notre capacité à résoudre des problèmes complexes. Elles nous permettent d’établir des raisonnements logiques et nous aident à appréhender les défis et les problèmes ardus de la vie avec confiance. N’oublions pas que les mathématiques se suffisent à elles-mêmes et qu’elles nous permettent de nous développer personnellement et collectivement. Les mathématiques sont vastes et sans limites.

Sarah Zbida
Sarah est étudiante à la maîtrise en mathématiques fondamentales à l'Université du Québec à Montréal. Elle s'intéresse à un puissant outil, appelé la torsion de Reidemeister, qui a permis de nombreuses avancées en mathématiques. Si elle n'est pas derrière son bureau à faire des mathématiques, vous la trouverez en train de tricoter ou bien de courir en pleine nature.