La frénésie de l’hydratation, entre nécessité et mode du moment

Nour Fessi

Étudiante au doctorat en médecine

La frénésie de l’hydratation, entre nécessité et mode du moment

Nour Fessi

Étudiante au doctorat en médecine

L’importance de l’eau dans notre corps est indéniable et nos besoins en eau varient considérablement d’une personne à l’autre. C’est notre corps qui est réellement le mieux placé pour gérer notre balance d’eau intrinsèque. Savoir comment notre corps accomplit cela permet d’aborder la question de l’hydratation dans notre quotidien avec plus de sérénité. Malgré qu’il y ait un risque à boire trop d’eau et que certains états de santé peuvent rendre une déshydratation dangereuse, notre apport quotidien en eau ne devrait pas être une préoccupation active pour la majorité d’entre nous. De plus, avec la variation de nos besoins en eau, déterminer une quantité universelle à boire est difficile.

Peut-être vous êtes-vous déjà fait dire de boire plus d’eau. C’est un conseil qui revient souvent, cité comme étant une solution à divers maux. Une recherche rapide sur Internet révélera l’ampleur de la confusion quant à la quantité d’eau recommandée quotidiennement. Boire beaucoup d’eau est aussi devenu une tendance sur certains réseaux sociaux, notamment avec le Gallon a day challenge, ayant amassé presque 15 millions de vues sur Tik Tok, un défi qui consiste à se forcer à boire presque 4 litres d’eau par jour.

 

Pour comprendre pourquoi nous n’avons pas besoin de nous forcer à boire de l’eau, il faut comprendre comment notre corps gère son hydratation. Notre sang contient plusieurs produits dissous, dont des électrolytes* comme le sel. L’eau que l’on ingère garde ces produits à l’équilibre à une concentration précise. C’est ce qu’on appelle l’osmolarité du sang. Les mécanismes de réhydratation de notre corps s’activent lorsque cette osmolarité varie. Cela se manifeste notamment par une sensation de soif et une bouche qui s’assèche. Vous comprendrez ainsi que lorsqu’on se trouve dans un climat chaud ou lors d’une activité physique, l’eau que l’on perd fait varier notre osmolarité sanguine. C’est cela qui fait que l’on a soif.

 

Plus concrètement, le changement d’osmolarité (osmorégulation) est ressenti par des récepteurs dans nos vaisseaux sanguins qui envoient un message à notre hypothalamus*. Ce dernier demande ensuite à notre cerveau de nous envoyer des signaux de soif. Il essaye aussi de nous réhydrater de façon plus autonome via la sécrétion d’une hormone*, la vasopressine, qui va faire en sorte que nos reins évacuent moins d’eau.

Risque de déshydratation et besoins en eau

On définit la déshydratation comme une perte d’au moins 3 à 5% de notre volume d’eau corporel. C’est à partir de 20% de perte qu’elle devient mortelle.3 Vous pouvez cependant être rassuré·e, notre sensation de soif apparaît à la perte de 1 à 2% de notre volume d’eau corporel et devient de plus en plus prononcée. Ainsi, à moins d’une situation particulière, la déshydratation ne passe pas inaperçue et notre corps s’en charge.

 

Comme pour nos besoins alimentaires et de sommeil, nos besoins en eau varient, entre autres, selon notre niveau d’activité physique, notre âge, notre taille et notre poids. De plus, tout ce que l’on consomme, que ce soit sous forme de nourriture ou de boisson autre que de l’eau, contribue à notre hydratation. Oui, oui, même le café ou l’alcool. Ainsi, notre mécanisme d’osmorégulation s’adapte à ce que l’on ingère et aux paramètres spécifiques à notre corps pour gérer notre hydratation.  

S’empoisonner à l’eau…

Il se peut que vous ayez déjà entendu parler d’intoxication à l’eau. Quoique fatal, cela reste un phénomène plutôt rare, puisque nos reins sont facilement capables de l’éliminer. Cependant, l’intoxication à l’eau peut arriver lorsque quelqu’un se force à boire énormément d’eau d’un coup. Elle peut également survenir lorsqu’une personne, qui est déshydratée à la suite d’une activité physique ou en raison d’un trouble neurocognitif, se réhydrate trop rapidement. 

 

La grande quantité d’eau ingérée se retrouve dans notre sang et dilue le sel y étant présent. Notre cerveau se retrouve donc dans un déficit relatif en sel, qui est un élément essentiel à l’équilibre d’eau dans notre cerveau. Ce déséquilibre en eau peut amener notre cerveau à enfler et la suite n’est malheureusement pas glorieuse. Un fameux exemple de cette situation est le tragique concours Hold Your Wee for a Wii où une femme a tenté de boire une grande quantité d’eau (presque 8 litres) tout en s’empêchant d’uriner. Sa participation au concours a malheureusement mené à son décès.

Qui devrait alors se soucier de son hydratation?

Il faut comprendre que le principe de boire à sa soif s’applique uniquement aux personnes en bonne santé vivant dans un climat modéré et ne faisant pas d’activité physique excessive. Certaines maladies nécessitent une restriction d’eau alors que d’autres états de santé nécessitent de boire plus d’eau que l’on pense nécessaire. De plus, chez des femmes enceintes ou des personnes âgées, les besoins en eau pourraient changer et il faut donc suivre les recommandations de son médecin dans ces cas

 

L’intérêt grandissant quant à l’hydratation sur certains réseaux sociaux peut nous faire réfléchir à l’obsession que développe notre société pour la santé et le bien-être. Cette situation fait que la simple action de boire de l’eau devient un sujet de conversation. Malgré l’emballement entourant ce sujet, boire plus d’eau n’est pas une solution miracle pour traiter tous les problèmes de santé, puisque ces derniers sont rarement dus à une déshydratation. Mieux vaut se concentrer sur les traitements officiellement recommandés pour nos différents problèmes de santé et laisser nos reins ainsi que notre puissant mécanisme d’osmorégulation gérer notre hydratation. Suivre les signaux de soif de notre corps est vraiment l’essentiel.

Lexique

 

Hypothalamus : Partie du cerveau qui s’occupe des fonctions essentielles à la vie, notamment via la sécrétion de certaines hormones.

Hormone : Substance produite par des cellules ou une glande qui voyage dans le sang pour envoyer un message à un endroit cible dans notre corps. On peut penser au cortisol, à l’œstrogène et la testostérone, la mélatonine, l’insuline, etc.

Électrolyte : Un minéral qui porte une charge positive ou négative lorsqu’il est dissous dans les liquides de notre corps, comme le sang. Les électrolytes principaux du sang sont le sodium, le potassium, le chlore et le bicarbonate.

Nour Fessi

Nour est étudiante au doctorat en médecine à l'Université de Sherbrooke, où elle allie sa formation clinique avec un intérêt pour l'enseignement. Elle s'intéresse particulièrement à la relation d'aide dans le cadre d'atteintes chroniques. Dans ses temps libres, elle est très active et pratique la planche à voile, ce qui lui permet de profiter pleinement du soleil et des vagues.

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