Imaginez-vous adolescent·e. Vous assistez à un concert de l’illustre artiste goth rock, Marilyn Manson. La plupart des chansons performées proviennent de l’album « We Are Chaos ». L’atmosphère est déchirante, sombre et l’instrumentation agressive. Vous êtes transporté·e·s par les thématiques mélancoliques et macabres des paroles. Vous sentez-vous désagréablement submergé·e par ces émotions ténébreuses ou l’atmosphère vous incite plutôt à les purger? Visualisez maintenant l’audience qui vous entoure. Est-elle vêtue de noir et sombrement maquillée? Dans votre corps adolescent, ressentez-vous la libération qui anime les sombres figures autour?
Une sombre réalité se cache dans l’univers des « gotheux* », ces garçons passionnés de goth. Non seulement semblent-ils davantage aux prises avec des défis psychologiques et comportementaux pendant l’adolescence et au début de l’âge adulte, mais leurs difficultés seraient susceptibles de perdurer dans le temps. Même à 30 ans, ils pourraient être plus déprimés, plus anxieux et isolés, insatisfaits de leur vie, et pourraient cultiver une plus faible estime d’eux-mêmes. Comment se fait-il qu’une passion d’adolescent pour le goth semble hanter leur bien-être sur une si longue période?
Passion goth : une bouée de sauvetage libératrice ou aliénante ?
L’adolescence est caractérisée par la présence de montagnes russes émotionnelles. La scène goth offrirait un espace purgatoire à certains jeunes qui pourrait agir comme bouée de sauvetage. Par contre, comment qualifier cette bouée… libératrice ou aliénante?
En 2023, près de 40% des adolescents de 12 à 17 ans se construisent dans l’ombre de symptômes anxieux et dépressifs modérés à sévères. Bien que la détresse psychologique des garçons passe plus souvent sous les radars à l’adolescence et au début de l’âge adulte, les gotheux ne semblent pas en être exemptés.
La tendance des gotheux à se tenir à l’écart socialement et à vivre leurs expériences solitairement contribue à l’énigme entourant leur bien-être psychologique. Néanmoins, ce que l’on sait est que les adolescents immergés dans l’univers goth souffrent d’un sentiment de solitude, de symptômes dépressifs et d’anxiété de manière plus importante que les non-amateurs. Ils se construiraient davantage sur des fondations teintées de sombres ruminations. Ainsi, il s’agirait de plus que d’une phase difficile à l’adolescence. Les gotheux, moins nombreux que les gotheuses, semblent donc davantage affectés par le fardeau psychologique typiquement goth, et ce, pendant fort longtemps.
Gotheux un jour, malheureux toujours ?
” Si tu dis que nous sommes malades
Donne-nous ta pilule
Espère simplement que nous disparaîtrons
Mais une fois que tu as inhalé la mort
Tout le reste n’est que parfum.”
[Traduction française]
Voici le type de message véhiculé par l’album de Marilyn Manson, “We Are Chaos”. Les paroles et le titre de son album en disent long sur l’univers ténébreux du goth. L’appartenance à un tel groupe stigmatisé socialement* peut, à elle seule, soulever des inquiétudes sur le plan de l’adaptation psychologique* des jeunes amateurs.
Les gotheux arborent généralement une insigne gothique qui leur permet de manifester leur identification aux normes et attitudes goth. Chaque amateur personnalise toutefois cette insigne musicale à sa façon en l’intégrant à son apparence et à son mode de vie. Souvent, ils se rassemblent autour du sentiment d’être déconnecté, voire étrange, par rapport à la société. Leur marginalité sociale les rassemblerait pour le meilleur, parfois, et pour le pire, d’autres fois. L’impact psychologique de cette identité musicale peut donc prendre différentes formes, affectant davantage les garçons.
L’empreinte significative que laisse cette préférence musicale sur les gotheux s’explique par leur interprétation de la culture goth et par les normes de genre auxquelles ils sont confrontés. Les gotheux construisent davantage leur identité à partir des thématiques gothiques relatives à la mort et la déchéance. Cela les mènerait à s’isoler socialement, renforçant ainsi leurs idées sombres. Ils deviendraient ainsi plus vulnérables à la dépression, à l’anxiété et à la solitude. Aussi, parce qu’ils sont des garçons, ils ressentent souvent la pression sociale d’être forts, stables et maîtres d’eux-mêmes. Rappelons-nous qu’à 30 ans, les hommes sont à nouveau soumis aux attentes de « become one’s own man » et d’assumer leurs responsabilités avec stabilité émotionnelle. Les gotheux, réputés pour leur propension à l’intensité émotionnelle, éprouveraient un fort sentiment d’inadéquation face à ces normes sociales en raison de leur incapacité à les atteindre. L’accumulation de ces conflits contribuerait à l’essor et à la persistance de leurs difficultés psychologiques.
Mon adolescent est gotheux. Devrais-je m’inquiéter ? L’empêcher ?
Ces interrogations sont tout à fait normales. Cependant, il est important de s’éloigner de la tendance à diaboliser la culture musicale goth pour ne pas ajouter à sa stigmatisation. Une préférence pour le goth peut signaler un état psychologique fragile sans que ce dernier ne soit nécessairement causé par cette préférence. Certains adolescents trouvent dans ce groupe une forme de soutien vital, essentiel pour ne pas sombrer davantage.
Pour les parents, de même que les personnes éducatrices et professionnelles, il importe d’être attentif à ce qui entoure cet intérêt musical qui pourrait impacter l’adolescent dont l’intensité et l’omniprésence de sa préférence.
Mon adolescent est gotheux. Quoi observer ?
Interprétation de la culture goth :
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Intensité de l’intérêt (obsessionnel/récréatif) :
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Réseau social centré sur le goth
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Les interventions de prévention en santé mentale axées sur les préférences musicales marginales des jeunes méritent d’être considérées. Il devient essentiel de sensibiliser les personnes qui travaillent auprès des jeunes à la possibilité que certaines préférences musicales marginales, comme le goth, peuvent indiquer des difficultés psychologiques à court, moyen et long terme. Cela dit, dans l’univers goth règne une force qui passe souvent inaperçue. Amy Lee, la chanteuse d’Evanescence, groupe contemporain de goth metal, a déclaré :
“It’s not about me fitting into a box that you like. It’s about me doing me without any shame”.
Les accompagner pendant qu’ils apprennent à faire briller leur unicité, voilà le pouvoir des interventions basées sur les préférences musicales goth.
Lexique
Mélomane : Une personne passionnée de musique.
Préférences musicales marginales : Styles musicaux de préférence qui ne font pas l’unanimité en raison de leur esthétique musicale singulière et de leurs normes non-conventionnelles.
Goth rock : Culture et sous-genre musical dérivé du rock non-mainstream caractérisé par une sonorité puissante et électrisante, des thématiques mélancoliques et une esthétique vestimentaire sombre.
Gotheux/Gotheuse : Personne amatrice de musique goth.
Stigmatisation sociale : Mise à l’écart de personnes parce qu’elles présentent des différences qui sont perçues comme contraires aux normes sociales admises.
Adaptation psychologique : Sentiment de bien-être et santé mentale d’un individu. Réfère à la capacité à faire face aux situations de la vie et de rester généralement bien, même lorsque les choses deviennent difficiles.
Découvre l'autrice

Catherine McConnell
Catherine, à un moment enseignante au primaire, est aujourd’hui doctorante en psychologie à l’UQAM. Le volet recherche de son doctorat lui permet d’investiguer l’impact psychologique à long terme d’une passion qu’elle cultive elle-même depuis sa préadolescence, la musique. Si vous la croisez sur la rue ou dans les corridors de l’UQAM, vous l’apercevrez fort probablement se baladant d’un pas léger, bercée par une de ses mélodies préférées. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux préférences musicales marginales, comme le goth rock et le heavy metal, et à leurs liens avec la santé mentale et le bien-être des amateurs. Les fins de semaine, elle passe son temps avec ses humains préférés, à vélo ou à la course, propulsée par divers univers musicaux et par le murmure des montagnes d’Estrie.