Et Mickey Mouse nous aidait à comprendre la douleur des animaux?​

Camille Illiano (elle)

Étudiante au doctorat en médecine moléculaire

Et Mickey Mouse nous aidait à comprendre la douleur des animaux?​

Camille Illiano (elle)

Étudiante au doctorat en médecine moléculaire

Comprendre et mesurer la douleur est un défi pour les scientifiques, que ce soit chez l'humain ou chez les animaux. Pourtant, dans les dessins animés, il semble presque évident de deviner les émotions d’un personnage comme Mickey Mouse: tristesse, joie ou douleur, tout nous paraît instantanément clair. Grâce à un processus appelé anthropomorphisme, les dessinateurs de Disney ont donné à leurs personnages des expressions faciales humaines. Ces mêmes principes auraient inspiré les scientifiques à développer des méthodes innovantes pour comprendre la douleur chez les animaux.

Que ce soit en se cognant un petit orteil contre un meuble ou en ressentant des maux d’estomac, la douleur est une expérience universelle que nous ressentons tous et toutes, d’une manière ou d’une autre. Mais comment mesure-t-on vraiment la douleur, surtout chez ceux qui ne peuvent pas l’exprimer avec des mots?  Si vous demandiez à votre animal de compagnie s’il souffre, comment pourrait-il vous répondre? Cette question intrigue les scientifiques pour améliorer la qualité de vie et prévenir de potentielles maladies. Une partie de la réponse se cache dans un domaine inattendu : les dessins animés.

Le défi de mesurer la douleur

L’expérience de la douleur est subjective, qu’importe l’espèce. Chez l’humain, des outils comme des échelles numériques — où l’intensité est notée de 0 à 10 — ou les questionnaires permettent d’évaluer la douleur. Mais, qu’en est-il des animaux qui ne peuvent pas parler? Ce défi n’est pas nouveau. Dès le 19ᵉ siècle, Charles Darwin s’y est intéressé dans son ouvrage « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux », où il explore comment certains gestes et expressions trahissent les états émotionnels des êtres vivants.

 

Il observe des similarités entre l’expression des émotions humaines et celle des animaux. Des décennies plus tard, des équipes de recherche ont identifié des micro-expressions universelles permettant de décoder les émotions chez l’humain. Ces micro-expressions, presque imperceptibles, peuvent révéler des sentiments profonds, comme la joie, la tristesse ou la douleur. Si cela s’applique à l’humain, pourquoi pas aux animaux? C’est en se posant cette question que des scientifiques ont commencé à développer des méthodes pour évaluer la douleur chez les animaux. Leur point de départ ? L’idée que, tout comme chez les humains, les émotions pourraient se traduire par des expressions faciales.

Les animaux et la douleur

En laboratoire, diverses techniques sont employées pour tenter de mesurer la douleur chez les animaux. Un des outils les plus utilisés est celui des filaments de von Frey. Il s’agit d’une série de petites fibres qui, lorsqu’elles sont appliquées sur la peau, provoquent une réaction de retrait chez les animaux en fonction de leur sensibilité. Ce test permet aux scientifiques d’évaluer la réponse à la douleur chez les animaux et l’humain. Cependant, bien que ce type de mesure soit utile, il offre une vision limitée de la manière dont les animaux ressentent la douleur. Ces derniers ne peuvent pas décrire ce qu’ils ressentent, et les réactions observées peuvent être interprétées de différentes façons. Les animaux, comme les humains, ont des seuils de douleur différentsIl est donc crucial de développer des outils plus précis pour évaluer leur souffrance. Et si les scientifiques s’étaient tournés vers un domaine inattendu pour trouver l’inspiration : les dessins animés?

L’inspiration des dessins animés

Les studios d’animation, comme Disney, ont été des pionniers dans l’art d’anthropomorphiser les animaux et les objets, en leur attribuant des traits humains ainsi que des expressions faciales et corporelles pour refléter leurs émotions. Cela permet aux personnes spectatrices d’identifier facilement ce que ressent un personnage. Lorsque Mickey est triste ou qu’il se cogne, son visage se contracte, ses yeux se plissent, et sa bouche s’ouvre : des signes évidents de douleur ou de souffrance. Ces expressions sont tellement familières que nous pouvons les reconnaître sans effort. C’est peut-être en observant ces mécanismes dans les dessins animés que certains scientifiques ont commencé à se demander si, dans la réalité, les animaux expriment également leur douleur de manière similaire. En étudiant les mimiques faciales de certaines espèces, comme les souris et les singes, ils et elles ont découvert que ces animaux manifestent leur douleur de manière visible et reconnaissable, tout comme l’être humain ! Les muscles du visage se contractent, les paupières se ferment partiellement, les oreilles changent de position, la forme du museau se modifie.

Figure 1. Big Ben (à gauche) et Lumière (à droite), personnages du film La Belle et la Bête, représentés sous leurs deux formes : objets anthropomorphisés (gauche) et leurs équivalents humains (droite).

De l’écran à la science

Ces découvertes ont conduit à la création de la « Mouse Grimace Scale » ou échelle de grimace chez la souris (voir Figure 2). Cette méthode permet aux chercheurs et chercheuses d’évaluer la douleur chez les souris en observant attentivement leur visage. Inspirée par les techniques d’animation, cette échelle analyse grâce à l’intelligence artificielle les contractions musculaires faciales et permet de déterminer à quel point l’animal souffre.

Figure 2. Échelle de grimaces chez les souris (« Mouse Grimace Scale »).

C’est un progrès important, car cela permet de mesurer la douleur de manière plus objective et plus précise, sans recourir à des méthodes invasives. De nombreuses autres espèces bénéficient aujourd’hui de méthodes similaires. Par exemple, des échelles de grimaces ont été développées pour les chevaux, les lapins et même les chats. Chaque espèce a ses propres indicateurs de douleur, mais le principe reste le même : utiliser des expressions faciales pour décoder les émotions animales, un peu comme nous le faisons inconsciemment avec les personnages de dessins animés.

Le dilemme éthique

Bien entendu, la recherche sur la douleur chez les animaux soulève des questions éthiques importantes. Si les animaux ressentent la douleur comme nous, comment pouvons-nous minimiser leur souffrance dans les laboratoires? Des réglementations strictes existent pour encadrer l’utilisation des animaux en recherche, et les chercheurs doivent suivre des protocoles rigoureux pour assurer le bien-être des animaux. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer ces pratiques.

 

Certaines initiatives vont dans la bonne direction, comme le développement de méthodes non invasives pour évaluer la douleur, telles que l’analyse des variations du rythme cardiaque, les échelles d’auto-évaluation ou l’observation comportementale. L’objectif est de minimiser la souffrance des animaux tout en permettant des avancées scientifiques importantes. Les scientifiques doivent constamment chercher des moyens d’améliorer ces pratiques, en s’assurant que les bénéfices de leurs travaux l’emportent sur les risques pour les animaux.

Découvre l'autrice

Camille Illiano (elle)

Camille Illiano est étudiante au doctorat en médecine moléculaire à l’Université Laval. Dans le cadre de sa thèse, elle se penche sur l’importance des neurones de ganglions de la racine dorsale et leur impact sur la douleur chronique. En dehors du labo, elle aime la lecture, passer du temps avec ses amis et traîner dans les salles de concert.

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