Qu’est-ce qui t’a amené à envisager une carrière en communication scientifique? Y a-t-il eu un ou des déclencheurs particuliers?
Thomas Milan Si je reviens dans le passé, il y a 6 ans, lorsque je commençais mon doctorat en biologie moléculaire, j’aurais probablement été un peu surpris d’apprendre qu’aujourd’hui, je fais carrière en communication scientifique puisqu’à ce moment-là, je ne peux pas dire que j’avais la fibre « communication scientifique ».
C’est à travers mon doctorat que je me suis rendu compte à quel point c’est important de communiquer la science, mais pas seulement dans les congrès scientifiques. Sans compter que je constatais qu’il y avait un besoin de créer une passerelle entre le grand public et les scientifiques. Je me suis donc posé la question : qu’est-ce que je peux faire, en tant qu’étudiant au doctorat, pour essayer de rajouter un grain de sable dans la dune qu’est la communication scientifique ?
En 2018, j’ai donc fondé un événement qui s’appelle « Dans les coulisses de la recherche ». Il s’agit d’une soirée de vulgarisation sur la recherche contre le cancer, qui a été animée par Yanick Villedieu, où on laisse la parole aux étudiant.es des laboratoires de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) de l’Université de Montréal. Au cours de cette soirée, on fait tomber les murs des laboratoires et on fait venir le grand public pour qu’il puisse poser toutes leurs questions sur le monde de la recherche. Trois éditions de cet événement ont eu lieu, soit jusqu’en 2020, et à chaque fois, plus de 150 personnes du grand public venaient écouter ce que les étudiant.es de la relève avaient à dire. Ça a vraiment été un franc succès!
J’ai vraiment pris plaisir à organiser cet événement : c’est le fun parler de vulgarisation scientifique, de sciences et surtout d’aller à la rencontre du grand public. Je me suis rendu compte à quel point le grand public est avide de connaissances : ils ont envie d’en savoir plus, de savoir comment la recherche fonctionne.
Et là, au fur et à mesure de mon doctorat, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’opportunités en communication scientifique. J’ai ensuite rejoint le comité de relecture de la revue Dire pour aider les étudiant.es des cycles supérieurs à améliorer leur article vulgarisé avant qu’ils ne soient publiés. J’ai moi-même également proposé un texte qui a été accepté par la revue.
À un certain moment, je me rendais compte à quel point je prenais plaisir à faire de la communication scientifique, je me suis demandé si je pouvais vivre de ça. Et là maintenant, je suis conseiller en communication scientifique à l’IRIC et j’adore ça!
Après les 24 heures d’humour de Jean-Marc Parent, nous avons enfin droit aux 24 heures de science! Peux-tu nous parler un peu de l’événement en soi, comment cela s’est présenté à toi et surtout comment fait-on pour coanimer 24 heures de science?
Thomas Milan Avant toute chose, il faut savoir que j’ai créé ma chaîne Twitch « Sciences à la carte » en octobre 2020, donc en pleine pandémie. C’était un ami à moi qui m’avait parlé de cette plateforme. À l’époque, il y avait des groupes de musique qui ne pouvaient plus faire de concerts en salle et qui ont débuté leurs activités sur Twitch. Je trouvais ça fascinant que ces groupes de musique aient réussi à faire quelque chose de ce genre sur une plateforme qui est fondamentalement plus « jeu vidéo ». J’ai réalisé que la science avait toute sa place sur ce réseau social !
Lorsque je me suis mis sur Twitch, je me suis rendu compte, en observant les codes de la plateforme, que pour remercier leur communauté, quelques utilisateurs et utilisatrices faisaient des lives de 24 heures où ils jasaient littéralement pendant 24 heures avec leur communauté. Parallèlement à ça, il faut savoir qu’au Québec, il y a un festival qui s’appelle le « 24 heures de science » chapeauté par l’organisme « Science pour tous ». Dans ma tête, ça a fait « 1 + 1 » : pourquoi ne pas faire un 24 heures de science sur Twitch dans le cadre du festival 24 heures de science ?!
Et donc, un dimanche après-midi en février 2021, j’ai décidé d’envoyer un courriel à Sarah Hermand, qui était la coordonnatrice du 24 heures de science, pour lui faire part de mon idée. Seulement 30 minutes plus tard, je recevais un message de sa part disant : « Go, on embarque ».
À ce moment-là, tout a déboulé. On a monté la programmation avec de nombreux invité.es pour le 24 heures de science 100 % virtuel sur Twitch. Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec, nous a fait l’honneur d’être avec nous pendant près de 2 heures. C’était vraiment une superbe expérience! L’événement a commencé le vendredi à 11h00 et s’est terminé le samedi à 12h30 : 26 heures de live et je vous laisse vous imaginer la tête qu’on avait à 4h00 du matin : ça devait être beau à voir! Une chose est certaine : c’était vraiment l’fun! Et c’est toujours accessible sur ma chaîne d’ailleurs!
Autre élément important, j’ai animé ce 24 heures de pair avec Caroline Labelle, étudiante au doctorat en bioinformatique, mais surtout une collègue à moi que j’avais interviewée sur ma chaîne quelque temps auparavant. On forme un beau duo tous les deux. On s’envoie toujours la balle. Caroline pose toujours des questions ultras pertinentes et ça facilite beaucoup la coanimation d’un tel événement.
Puisque l’édition 2021 du 24 heures de science a connu un beau succès, on s’est dit pourquoi ne pas faire une deuxième édition, mais cette fois-ci en présentiel. On a donc contacté l’Espace pour la vie qui nous a gracieusement prêté leurs locaux à la Biosphère sur l’île Sainte-Hélène. Cette fois-ci, on a fait un 12 heures le vendredi et un autre 12 heures le samedi. Quelle aventure! Et quel endroit incroyable pour faire une émission en direct!
Pour répondre à la question « comment est-ce qu’on fait pour coanimer un 24 heures de science ? » : il faut, d’abord et avant tout, avoir beaucoup d’énergie et de curiosité. Les invité.es ont beaucoup de choses à dire et il faut réussir à rebondir sur certains éléments qu’ils et elles ont pu dire. Il faut également avoir beaucoup de passion et de patience parce que monter et coanimer un tel événement, ça prend beaucoup de temps!
Mener des entrevues, ça te connait! Quels conseils donnerais-tu aux étudiant.es universitaires qui veulent lancer leur podcast de vulgarisation scientifique et interviewer des chercheurs et chercheuses sur une variété de sujets?
Thomas Milan Le premier conseil que je donnerais aux étudiant.es qui veulent lancer leur podcast, c’est d’avoir du plaisir dans ce qu’on fait! Si le plaisir n’y est pas, vous aurez de la difficulté à persévérer, et ça ne marchera pas… Un doctorat, ça peut être très long, on a besoin d’avoir des bouffées d’oxygène, de sortir un peu des murs du laboratoire. Pour moi, la création de contenu vulgarisé, cela a littéralement été une bouffée d’oxygène! Ça permet de concrétiser ce qu’on fait au quotidien en recherche et de développer de nouvelles compétences en dehors du laboratoire. Et surtout ça fait du bien au moral et à la santé mentale!
Le deuxième conseil serait de ne pas être trop perfectionniste : pas facile à appliquer, je sais! Au début, quand on lance une affaire, tout peut être sujet à amélioration : la question de relance que j’aurais pu mieux formuler, le son que j’aurais pu mieux mixer, etc. Si on attend que tout soit parfait avant de lancer un projet, on ne lancera jamais rien. Il faut donc savoir oser, mais surtout lâcher prise! Si vous vous lancez, vous allez forcément faire des erreurs. C’est ensuite à nous de savoir tirer des leçons et des apprentissages de ces erreurs.
Côté conseils pour mener une bonne entrevue auprès d’expert.es : il faut, selon moi, toujours penser au message que vous voulez que votre public retienne. Est-ce que le message est plus pour démocratiser un domaine de recherche en tant que tel? Ou bien faire découvrir un métier, une technique, un quotidien, un parcours de vie? Demandez-vous quel est l’« effet wow! » de votre entrevue?
Aussi, il est important d’être toujours à l’écoute de notre invité.e pour être capable de rebondir sur ce que la personne dit. C’est avant tout un échange. Ce n’est pas facile quand on réalise une émission et qu’il y a tous les aspects techniques autour de soi à prendre en compte. Préparez-vous des questions « fils conducteurs ». Ça permet de garder le contrôle sur comment le message est transmis. Si au cours de l’entrevue, vous ne comprenez pas ce que votre invité.e est en train de vous dire, dites-vous qu’il est possible que votre public non plus : c’est probablement qu’il y a un problème de vulgarisation. N’hésitez pas à revenir sur ce que l’expert.e a dit pour mieux comprendre.
Il ne faut pas oublier qu’humaniser la science peut être un puissant vecteur de communication scientifique. J’aime donner la chance aux chercheurs et aux chercheuses de s’exprimer sur leurs valeurs humaines qu’ils et elles défendent, et aussi de les entendre parler de leur quotidien. Après tout, ce sont des humains qui sont au cœur de la recherche.
Pour terminer, une pré-entrevue en amont permet toujours de briser la glace avec la personne invitée, de la rassurer et de lui rappeler que l’on s’adresse à un public non initié.
Quels sont tes plans pour les prochains temps concernant ta chaîne Twitch « Sciences à La Carte »?
Thomas Milan Une chose est certaine : je veux poursuivre mes émissions en direct sur ma chaîne parce que j’aime beaucoup trop ça! Le direct rend réellement accro : quand on voit qu’il y a une bonne énergie et que ça se passe bien, on a envie que ça se reproduise encore et encore. Aussi, ma chaîne représente un contexte d’apprentissage formidable où il m’est possible de m’améliorer que ce soit sur l’aspect technique, mais également sur le contenu : comment le rendre encore plus pertinent ou plus rythmé ? Et quand on y pense, ma seule limite est mon imagination : il y a toujours de la place pour innover, pour créer!
Et une idée que j’aimerais concrétiser un jour : c’est d’animer une émission quotidienne sous forme de table ronde où des chroniqueurs et des chroniqueuses scientifiques viendraient nous raconter leurs aventures de laboratoires. On pourrait alors suivre dans le temps cette famille-là de chroniqueurs et chroniqueuses. Je pense que ce concept permettrait d’humaniser la recherche et d’en apprendre plus sur le quotidien des scientifiques. À suivre…