Entrevue avec Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec

Juliette François-Sevigny

Étudiante au doctorat en psychologie, Université de Sherbrooke

Entrevue avec Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec

Juliette François-Sevigny

Étudiante au doctorat en psychologie, Université de Sherbrooke

Chercheur en neurosciences, Rémi Quirion est, depuis 2011, le tout premier scientifique en chef du Québec. En plus de présider les conseils d’administration des trois Fonds de recherche du Québec, il a pour mandat de conseiller le ministre de l’Économie et de l’Innovation sur les questions de recherche et de développement scientifique. Au programme : conseil scientifique, diplomatie scientifique et université du futur.

Q Comme scientifique en chef du Québec, vous faites la promotion du conseil scientifique et de la diplomatie scientifique. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?

RÉMI QUIRION Le conseil scientifique réfère aux interactions entre le milieu scientifique, les hauts fonctionnaires de l’État et nos élus sur une situation particulière. Pensons simplement à la pandémie de COVID-19 où le milieu scientifique a été très sollicité par le gouvernement afin d’orienter au mieux les décisions politiques. Ainsi, il s’agit de fournir des informations et des avis basés sur des données de recherches : c’est ce qu’on appelle des données probantes. À partir des données probantes existantes, il nous est possible d’éclairer la prise de décision gouvernementale et de suggérer des pistes de solution. Il s’agit donc d’avis scientifiques que nous donnons. Au bout de la ligne, ce sont nos élus qui ont le pouvoir de décider.

Quant à la diplomatie scientifique, c’est d’utiliser la science au profit des relations internationales qu’entretient un État. La science peut ouvrir des portes en donnant lieu, par exemple, à des coopérations scientifiques internationales. Un des meilleurs exemples de diplomatie scientifique est le Laboratoire européen pour la physique des particules, le CERN, situé à Genève, ayant fait la découverte du Boson de Higgs. Dans ce centre de recherche, des scientifiques de toutes les nationalités travaillent ensemble. Par exemple, le chercheur israélien collabore avec le chercheur palestinien, tout comme avec le chercheur iranien. C’est là qu’on se rend compte que la science a le pouvoir d’abolir les frontières entre les pays. L’utilisation de la science est réellement avantageuse pour la diplomatie québécoise puisqu’elle ouvre de nombreuses portes.

Q Votre rôle est de conseiller le ministre de l’Économie et de l’Innovation, mais aussi le gouvernement. Comment ça se passe ? Est-ce qu’il y a de l’écoute de la part du gouvernement pour les questions scientifiques?

RÉMI QUIRION Bien que plusieurs éléments négatifs découlent de la pandémie de COVID-19, l’importance accordée à la science depuis les derniers mois est un élément des plus positif ! Nos collaborations avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de l’Éducation et le ministère de l’Enseignement supérieur, étant déjà bien actives depuis les dernières années, ont été pour le moins renforcées avec l’arrivée de la pandémie. Que ce soit par exemple sur l’enseignement à distance ou bien sur le port du masque chez les enfants, plusieurs avis scientifiques nous ont été demandés. Aussi, depuis mars 2020, d’autres ministères avec lesquels nous avions moins de collaborations demandent nos avis sur des questions scientifiques ne concernant pas seulement la pandémie.

Et ce phénomène n’est pas unique au Québec. Il y a plusieurs pays et régions dans le monde qui ont des conseillers scientifiques (un rôle similaire au mien). Cela démontre le besoin de ce genre de poste dans les gouvernements.

Q En janvier dernier, vous annonciez que 2020 rimerait avec diplomatie scientifique. C’était avant la pandémie. Est-ce que la pandémie est venue donner plus d’importance à la diplomatie scientifique ou au conseil scientifique?

RÉMI QUIRION La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la science comme étant un outil très puissant quand il est temps de relever de grands défis sociétaux. Depuis les derniers mois, les principales plateformes de diffusion scientifique se sont adaptées à ce contexte bien particulier dans l’optique de vaincre la COVID-19. Pensons simplement au processus de publication des travaux de recherche sur le virus qui a été accéléré. Aussi, cette pandémie a donné lieu au mouvement de « science ouverte » offrant, à tous, un libre accès aux données et aux publications scientifiques. En se mobilisant de la sorte, la communauté scientifique internationale a permis l’accélération du processus de découverte concernant la COVID-19. Et mentionnons que nous avons réussi un coup de force en développant un vaccin très rapidement. Il s’agit là d’un bel exemple de diplomatie scientifique !

Q Vous avez été parmi les fondateurs de l’International Network for Governement Science Advice (INGSA). Comme scientifique en chef du Québec, quel est votre rôle et quels sont vos objectifs comme membre d’INGSA?

RÉMI QUIRION D’abord, ma nomination comme scientifique en chef du Québec n’est pas quelque chose que j’avais prévu! Étant donné qu’il n’y avait pas, à proprement dit, de description de tâches liée à ce poste, j’ai dû m’interroger sur ce que j’allais faire! J’ai regardé ce qui se faisait à travers le monde : il faut dire qu’il n’y a pas énormément de personnes ayant un titre similaire au mien. J’ai alors communiqué avec un collègue en Angleterre, un en Nouvelle-Zélande et un autre en Australie pour que l’on puisse se réunir et en discuter.

Notre première réunion a eu lieu à Aukland en Nouvelle-Zélande. Au terme de cette rencontre, nous nous sommes dit que ça vaudrait la peine de créer un regroupement d’aviseurs scientifiques. Ce ne sont pas toutes des personnes qui ont un titre de scientifique en chef, mais d’une façon ou d’une autre, ils donnent des avis à un gouvernement. Il peut s’agir d’académiciens des sciences, de professeurs d’université, etc. L’idée derrière ce regroupement était de créer un réseau pour faciliter les échanges et d’augmenter les capacités en matière de conseil scientifique. Par ailleurs, dans plusieurs régions du monde, il y a peu d’expertise en matière de conseil scientifique… Donc, un des rôles principaux d’INGSA a été d’organiser des ateliers de formation pour développer et renforcer cette expertise, ce que nous avons fait surtout dans l’Afrique francophone.

Aujourd’hui, INGSA regroupe plus de 5000 membres dans plus d’une centaine de pays. Ce Réseau est reconnu comme une organisation qui peut donner des conseils scientifiques, non pas seulement aux gouvernements nationaux ou régionaux, mais aussi à des organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé, l’UNESCO, etc.

Q Comment les chercheurs et même les étudiants peuvent-ils exercer un rôle d’acteur dans la diplomatie scientifique?

RÉMI QUIRION Au cours des dernières années, nous avons offert des bourses associées au conseil scientifique et à la diplomatie scientifique aux jeunes à la maîtrise ou au doctorat intéressés par ces expertises. Nous avons commencé à plus petite échelle en offrant ce type de bourse à deux jeunes Québécois. L’un est allé à Londres et l’autre à Munich. Donc, plutôt que de faire de la recherche dans un laboratoire académique, ils sont allés dans les bureaux du Québec à l’étranger pour apprendre la diplomatie scientifique sur le terrain. Ils ont eu l’opportunité de combiner la science à la diplomatie.

On veut maintenant faire la même chose, mais ici au Québec, en offrant aux jeunes intéressés par le conseil scientifique l’occasion de travailler dans des ministères : d’aller voir sur le terrain, comment ça se passe en comparaison avec un laboratoire de recherche. Bref, il s’agit d’offrir des opportunités de formation en conseil scientifique au sein de l’appareil de l’État québécois. Nous en avons encore peu ici. L’Europe tente aussi d’avoir de tels programmes de formation. Ça commence à se développer un peu partout. La pandémie va sans doute avoir un effet positif sur le développement d’un tel programme.

Q En septembre dernier, vous et votre équipe de travail avez publié, après plus d’un an de travail, le rapport du chantier sur l’Université québécoise du futur. À quoi est-ce que l’Université du futur réfère-t-elle?

RÉMI QUIRION Le monde a changé. Ça va très vite… Il faut dire que la pandémie a accéléré le tout! Il suffit de penser à l’avancée qu’il y a eu concernant la formation en ligne. Le cursus des étudiants a changé. Il y a quelques années, c’était beaucoup plus traditionnel, plus linéaire. L’étudiant allait au Cégep, suivi du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat, voire du post-doctorat. Puis, après ça, c’était le temps de se trouver un emploi. Il y avait le choix entre un emploi dans le milieu académique, gouvernemental et privé. Aujourd’hui, c’est bien différent… Il n’est pas rare maintenant qu’un jeune va arrêter d’étudier pour aller sur le marché du travail pendant quelques années, puis retourner aux études pour compléter une maîtrise. Sans parler de ceux qui décident de changer de domaine : commencer une formation universitaire en science et la terminer en littérature, ou inversement. Ces parcours sont beaucoup moins linéaires. Les étudiants demandent de plus en plus des formations « à la pièce ». Faire un Ph.D en mariant la biochimie et les arts, c’est possible, mais complexe! Le premier élément du rapport sur l’université du futur porte justement sur la manière d’adapter la formation universitaire à ces nouvelles demandes, ces nouveaux besoins.

Le deuxième élément du rapport se concentre sur le fait d’ouvrir les portes universitaires à tout ce qui est diversité, équité et inclusion, d’avoir une plus grande ouverture envers les groupes étant moins favorisés.

Finalement, le troisième aspect dont traite le rapport sur l’université du futur concerne les collaborations entre les départements, entre les facultés universitaires et celles entre les universités et les Cégeps: comment faciliter les collaborations intersectorielles dans le but de répondre aux grands défis de société? Par exemple, si nous parlons de changements climatiques, nous avons besoin d’un expert en changement climatique, mais aussi d’un expert en acceptabilité sociale. Encore une fois, concrétiser cet aspect intersectoriel est possible, mais complexe. Par ces collaborations, nous voulons aussi augmenter la place de l’université dans notre société : comment peut-elle devenir plus significative pour les citoyens?

Q Quelle sera la place de la diplomatie scientifique au sein de l’Université du futur?

RÉMI QUIRION Il s’agit plutôt de la place de l’université dans la société. Et je ne parle pas seulement de la société québécoise, mais de la société en général. Ce qui revient à dire : la place de l’université dans le monde pour faire face aux grands défis de la société. Ça peut être des enjeux liés à la surpopulation, aux famines, aux changements climatiques ou même aux objectifs de développement durable.  Il y a un rôle important que nos universités peuvent jouer face aux grands défis de société et les outils de diplomatie scientifique vont être utiles au cours des prochaines années.

Q Si vous aviez un conseil à donner aux étudiants aux études supérieures qui s’intéressent aux questions liées à la diplomatie scientifique, lequel serait-il ?

RÉMI QUIRION Ce serait surtout d’essayer d’interagir, de poser des questions, relativement tôt, aux personnes s’impliquant dans le domaine du conseil scientifique. Nous avons comme projet, au cours des prochaines années, d’offrir des formations en ligne portant sur les bases de la diplomatie scientifique pour ceux étant intéressés.

La chose la plus importante est de ne pas limiter son intérêt envers la diplomatie scientifique en raison d’un manque de formation en science politique ou en diplomatie : « J’ai seulement une formation en science, je dois donc oublier ça… ». Non! Au contraire, c’est de marier ces mondes-là en prenant des risques. Un cheminement à travers cette expertise risque de ne pas être linéaire puisque le domaine de la diplomatie scientifique est toujours en développement.

Juliette François-Sévigny

Juliette est étudiante au DESS en administration des affaires au HEC Montréal et future étudiante au doctorat en psychologie à l’université de Sherbrooke. Elle s’intéresse particulièrement à la réalité des parents ayant des enfants doués. Dans ses temps libres, elle adore écouter des films et des séries télévisées. Netflix et Disney + n’ont plus aucun secret pour elle!

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1 Comment

  1. Emma dit :

    Super bon article! Bon travail!

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