Entrevue avec Catherine Lord, consultante scientifique

Juliette François-Sévigny

Étudiante au doctorat en psychologie

Nazdar Roy

Étudiante au D.E.S.S. en journalisme

Entrevue avec Catherine Lord, consultante scientifique

Juliette François-Sévigny

Étudiante au doctorat en psychologie

Nazdar Roy

Étudiante au D.E.S.S. en journalisme

Cofondatrice d’Immerscience, une organisation de curation et courtage scientifique, Catherine Lord fait de la consultation scientifique tant au niveau national qu’international depuis 2014. En plus d’avoir en poche un doctorat en neurosciences à l’Université McGill, cette dernière a mené deux recherches postdoctorales. Au programme : production, mais surtout accessibilité des connaissances scientifiques.

Vous vous décrivez souvent comme étant une chercheuse « défroquée », que voulez-vous dire exactement?

La communauté scientifique et académique est tout de même une famille tissée serrée et comme j’ai quitté ce milieu, pour moi le terme scientifique défroquée traduit l’émotion intense que j’ai ressentie de quitter cette famille et de devoir gérer les conséquences positives et négatives qui en découlent. Dans les positives, il y a évidemment d’élargir ses horizons et de découvrir d’autres familles. Mais quitter sa « famille », c’est aussi faire des deuils et s’exposer à ce que les autres pensent de vos choix de vie. De mon côté, comme j’ai quand même fait deux postdocs avant de me réinventer, plusieurs se sont questionnés sur mon choix, et avec raison. Par exemple, c’est sûr qu’au cours de mon parcours, des gens ont pu développer des attentes envers moi et se sont projetés; la relation professeur-étudiant, mentor-supervisé s’apparente parfois à une relation familiale, surtout lorsque certains projets scientifiques durent des années.

Défroquée, c’est aussi pour dire que je me suis réinventée, mais que je reste une scientifique. Après tout je l’ai mon PhD, personne ne peut me l’enlever! [rires] Je ne fais peut-être plus de la recherche à proprement parler, bien que je participe encore à certains projets en santé mentale périnatale de manière indépendante, mais je ne perds pas pour autant mes compétences en lien avec la littératie scientifique – bien au contraire! Je les mets à profit d’une multitude d’autres façons, pour d’autres publics et pour d’autres types de projets. J’ai des projets de littératie scientifique pour que divers publics puissent comprendre ce qu’est la méthodologie scientifique – comment on fait de la recherche – et ainsi s’approprier l’information.

Je suis donc une scientifique 2.0 qui fait de l’entrepreneuriat scientifique avec les compétences des scientifiques défroqués ou pas!

On parle de plus en plus d’entrepreneuriat scientifique, qu’est-ce qui vous a amenée à prendre cette orientation en fondant Immerscience?

Ça aussi c’est une réponse à plusieurs niveaux. Je pense que le point tournant pour moi a vraiment été de me rendre compte de l’accumulation des connaissances et d’avoir perdu une certaine passion à produire cette connaissance-là. L’émotion qui m’animait le matin devenait de la frustration par rapport au fossé qui s’était créé entre ce que les gens connaissent de la science et la quantité de connaissances produites.

Une équipe de recherche dans laquelle j’ai grandi, le laboratoire de Dre Sonia Lupien, était hyper stimulant sur le plan du transfert de connaissances, qu’on n’appelait pas comme ça à l’époque. Je crois que cela a été un terreau fertile pour ma transition en entrepreneuriat scientifique dans le transfert de connaissances. J’étais également entourée d’un réseau qui a cru en moi, ce qui a fait que je me suis lancée. Mes amis scientifiques ont été cruciaux dans cette transition-là. Par exemple, j’ai eu beaucoup de discussions à ce sujet avec Marc-Olivier Schüle de Myelin Solutions, et il a été un joueur important dans la réduction de mon syndrome de l’imposteur. Donc au niveau individuel, ce changement d’orientation m’a demandé de la passion, de la confiance en moi pour quitter la grande famille scientifique universitaire et un bon réseau de soutien qui croyait en moi.

À cette époque-là, j’ai aussi rencontré mon mari, Damien, et lui était médiateur et communicateur scientifique dans les écoles. Il avait donc fait cette transition et me disait que ce n’était pas si compliqué, alors que je voyais ça comme une montagne. Je crois que ça prend aussi des traits de personnalité spécifiques. De mon côté, j’adore travailler en équipe, mais j’ai aussi besoin d’être indépendante; la carrière de chercheuse permet de développer toutes sortes de compétences, comme prendre des décisions et gérer nos affaires. Cette liberté académique, je la retrouve aussi dans l’entrepreneuriat.

Quelles astuces utilisez-vous pour vous y retrouver dans l’océan d’informations scientifiques disponibles de nos jours?

Le modèle d’affaires d’Immerscience est justement basé sur cette abondance d’informations. Un des aspects ayant motivé la création d’Immerscience, c’est un désir d’accessibilité. Par exemple, nous avons des contrats de curation scientifique avec le Pharmachien, qui est submergé dans les sources d’informations. Il est scientifique de formation, il veut communiquer, mais c’est très chronophage de se retrouver dans toutes ces sources d’informations. Si on veut faire un bon travail, avoir une vision globale et un esprit critique, il faut prendre le temps de lire et de réfléchir à tout ça. Selon moi, il y a certains projets qu’on ne peut pas faire seul. Je ne crois plus que c’est possible de chercher, filtrer, s’approprier et assimiler toutes ces informations, qui ne sont plus un verre d’eau, mais bien un océan comme tu l’as dit. Et on doit faire ça tous ensemble.

Des professions se sont adaptées à cette réalité dans les dernières années. Un aspect qui a été déterminant pour moi, c’est la rencontre d’une bibliothécaire, une professionnelle de l’information à l’ère du numérique! Ça a changé ma vie [rires]. Si je l’avais rencontrée pendant que j’étais au doctorat, j’aurais perdu tellement moins de temps et j’aurais tellement été moins stressée de savoir si j’ai fait le tour d’un sujet. Les bibliothécaires universitaires, par exemple, peuvent aider à bien trouver les mots-clés pour une recherche et cerner les sources pertinentes en constante évolution. Il s’agit d’une ressource très riche pouvant t’aider à mettre en place des outils automatiques de veille pour se tenir informés sur un sujet, par exemple. Donc mon conseil pour tout jeune chercheur ou chercheuse serait de devenir ami avec un ou une bibliothécaire [rires].

Après, il y a également la réflexion de groupe avec les pairs comme en recherche. J’ai fondé Immerscience avec Julie Andrews qui est un maillon essentiel dans l’entreprise. Elle me permet d’avoir une paire, un binôme, avec qui échanger dans un flot continu et de garder une vision globale et neutre. Donc ce regard-là permet d’être plus objective. Bref, on ne s’en sort pas seul de nos jours face à toutes ces informations.

Que souhaitez-vous pour l’avenir du transfert des connaissances?

Je trouve qu’on s’en vient bien, je trouve qu’on est dans l’avenir. Quand j’ai commencé à travailler avec Dre Sonia Lupien, on en parlait à peine, et parfois c’était même négatif dans le CV d’un chercheur. Maintenant, il y a des ressources financières dédiées à ça, et on commence depuis quelques années à avoir des ressources humaines pour ça aussi. Ce que je souhaite, c’est qu’on professionnalise le tout et qu’on y dédie de la formation universitaire.

Je nous souhaite aussi d’arrêter la guerre de clochers entre les différents types de communicateurs scientifiques. Par exemple, certains scientifiques vont dire que certains Youtubeurs, qui font un travail exceptionnel de transfert de connaissances, ne sont pas des communicateurs ou des scientifiques. Je souhaite qu’on arrive à se définir plus clairement pour que la collaboration se fasse mieux. Ces collaborations-là sont super riches et servent à l’objectif qui est d’informer et d’outiller les gens avec des connaissances qui sont en mouvance extrêmement rapide.

Donc pour l’avenir du transfert de connaissances, il y a beaucoup de réflexions et de travail à l’horizon. Ça ne fait que commencer. Même le mot transfert, on se pose encore la question dans plusieurs communautés à savoir si c’est le bon terme puisqu’il est considéré unidirectionnel dans notre inconscient collectif. C’est un mot rigide et rigoureux. Donc est-ce que ça va encore s’appeler transfert de connaissances pendant longtemps? Je ne pense pas. Je crois donc que le transfert de connaissances va évoluer et se professionnaliser.

Que diriez-vous à un étudiant qui se sent déchiré entre son rôle de chercheur et celui de communicateur scientifique?

Demande-toi d’où ça vient ce déchirement-là et s’il y a lieu d’être. Je pense que ça peut venir de nos construits sociaux. N’est-ce pas un peu vieux jeu que de penser qu’être scientifique n’implique pas aussi de communiquer la science. On a plusieurs cordes à notre arc, on a tous de multiples talents et compétences et on est à l’ère de la diversité des potentiels aussi, je pense. Étant à l’extérieur du monde académique, je constate que les profils non linéaires sont extrêmement valorisés et recherchés. Le monde du travail évolue à sa vitesse, tout comme le monde académique.

Si tu es appelé à faire de la communication scientifique, fais-en, si tu ne l’es pas, n’en fais pas!

Certains superviseurs sont ouverts au transfert de connaissances et d’autres moins. Je considère qu’il est important pour un étudiant de s’asseoir avec son superviseur pour discuter de ses objectifs de carrière et de la manière d’y arriver. C’est certain que si tu veux être chercheur, il y a certains choix qui devront être faits, du moins pour un temps. Mais si tu veux être ingénieur et comédien aussi c’est possible. À toi de voir quels sont les sacrifices que tu es prêt à faire.

Il y a une chose que je sais : quand on est passionné, on trouve toujours notre place!

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