Faites-vous partie des personnes qui ont un univers dans leur tête, capables de modeler une seconde réalité? La capacité de se représenter le monde est essentielle pour naviguer dans celui-ci. Bien qu’universelle, son expression n’est pas pareille pour tout le monde. Certaines personnes sont en mesure de s’imaginer des images aussi vivides que si elles avaient les yeux ouverts, celles-ci étant hyperphantasiques. À l’inverse, d’autres personnes ne sont pas en mesure de se représenter des images dans leur tête, étant alors aphantasiques. La forme d’aphantasie la plus extrême, soit celle où il n’y a aucune imagerie mentale, aurait une prévalence de seulement 0,8%.
Malheureusement, les méthodes qui existent actuellement pour évaluer l’emplacement d’individus sur le spectre de l’imagerie mentale demeurent plus ou moins valides. Francis Galton a été l’un des premiers à s’intéresser à l’imagerie mentale, plus particulièrement à la vividité de celle-ci en décrivant l’illumination, la définition et la couleur des images visualisées. Il a ainsi découvert que certaines personnes n’avaient aucune capacité de visualisation. La faculté d’imagerie visuelle se répartit donc selon un spectre où les hyperphantasiques et les aphantasiques se situent aux extrémités. On peut alors se demander comment le degré d’imagerie mentale des individus d’un bord et de l’autre du spectre peut influencer différents aspects de la vie, par exemple sur le plan des habiletés athlétiques, de la carrière ou encore des rêves!
L’aphantasie, un fardeau pour les athlètes
Bien qu’il y ait encore peu d’informations sur le sujet, il semble qu’un fort niveau d’imagerie pourrait améliorer la performance des athlètes. Par exemple, il serait possible qu’une personne faisant de la gymnastique de haut niveau puisse réussir à exécuter une figure qui lui échappe depuis longtemps si elle se pratique à l’imaginer. Cette idée a été testée sur des athlètes aphantasiques pratiquant différents sports. Après avoir participé à une intervention visant à améliorer leurs performances sportives par le biais de l’imagerie mentale, les athlètes aphantasiques présentaient de meilleurs scores d’imagerie. Encore aujourd’hui, la majorité d’entre eux continuent d’utiliser des stratégies de visualisation pour augmenter leurs performances. On peut alors penser que les athlètes hyperphantasiques présentent un certain avantage. Les athlètes aphantasiques gagneraient donc beaucoup à pratiquer les techniques de visualisation pour atteindre un plus grand niveau d’imagerie mentale, leur donnant de plus grandes chances d’effectuer des prouesses sportives. Qui sait, ces techniques deviendront peut-être un jour pratique commune dans le milieu sportif!
Le niveau d’imagerie, un lien avec le choix de carrière ?
Selon une étude, les personnes aphantasiques auraient une plus grande tendance à se tourner vers les carrières scientifiques et mathématiques, alors que celles hyperphantasiques seraient davantage attirées vers les carrières plus créatives. Cela n’est pas surprenant si on pense au fait qu’un peintre aura sûrement plus de facilité à créer une œuvre s’il peut la visualiser, par exemple. En revanche, comprendre des formules mathématiques demanderait plutôt des habiletés cartésiennes, où l’imagerie mentale ne serait pas impliquée. Il semblerait alors que la créativité est à l’hyperphantasie ce que la logique est à l’aphantasie. Notre capacité à se représenter le monde pourrait ainsi moduler nos forces et nos faiblesses. Par exemple, une personne hyperphantasique pourrait avoir un grand talent artistique alors qu’il pourrait plutôt s’agir d’un défi chez une personne aphantasique. L’imagerie mentale pourrait donc être pertinente à explorer en psychologie du travail. Par exemple, certaines personnes employeuses pourraient trouver intéressant de prendre en considération le niveau d’imagerie mentale des individus lors de l’évaluation des candidatures pour un poste spécifique.
Rêver en images
Pour la majorité des gens, un rêve est composé d’images. Qu’en est-il alors des rêves des personnes aphantasiques, qui éveillées, n’ont pas de capacité de visualisation? Bien que le sujet ait encore été peu étudié, les recherches actuelles suggèrent que les personnes aphantasiques font moins de rêves que les celles hyperphantasiques et que leurs rêves sont de moins grande qualité sur les plans sensoriel, affectif et cognitif, de même que relativement à la complexité spatiale, à la perspective et à lucidité. Ces conclusions seraient également vraies en ce qui concerne les rêveries diurnes, le daydreaming. Cependant, il serait possible que certaines personnes aphantasiques soient en mesure de rêver visuellement puisque les rêves impliquent des formes involontaires d’imagination. Selon une autre étude, les personnes aphantasiques pourraient parfois faire l’expérience d’imagerie mentale. Ce serait le plus souvent sous forme de flashs ou dans leurs rêves, malgré le fait qu’ils soient totalement incapables de se représenter des images volontairement. Il y aurait alors une dissociation potentielle entre l’imagerie mentale volontaire et l’imagerie mentale. C’est-à-dire qu’il serait possible pour une personne de voir des images dans sa tête de façon involontaire, comme lors d’un rêve, mais pas de façon volontaire.
Nous en savons encore peu sur l’aphantasie et l’hyperphantasie. Il s’agit d’un domaine en émergence et en constante évolution. Hormis les sports, les rêves et le choix de carrière, une foule de questions demeurent. Est-ce que la capacité de penser en images influence nos relations, notre compréhension ou notre perception du monde? Quels sont les liens avec la réussite sociale? Est-ce qu’une plus grande habileté à se créer des images claires rime avec une plus grande intelligence? Que les innovations futures puissent nous éclairer sur ces divers horizons.
Découvre les autrices


Laurence Lessard et Emmanuelle Alcantar-Laguë
Laurence et Emmanuelle sont étudiantes au baccalauréat en psychologie à l'Université de Montréal et s'intéressent toutes deux à l'imagination. Laurence s'intéresse plus particulièrement à l'imagerie mentale et l'intelligence artificielle. Les principaux intérêts d'Emmanuelle sont les relations interpersonnelles et la psychopathologie. En dehors de leurs études, elles apprécient la lecture et les voyages.