Entrevue avec Pre Line Massé : Une recherche significative avec et pour les milieux pratiques

Juliette François-Sévigny

Candidate au doctorat en psychologie

Entrevue avec Pre Line Massé : Une recherche significative avec et pour les milieux pratiques

Juliette François-Sévigny

Candidate au doctorat en psychologie

Chercheuse en psychoéducation, Line Massé vise, par ses travaux de recherche, à favoriser l’inclusion scolaire des élèves présentant une douance ou des difficultés d’adaptation et de comportement. Ayant œuvré pendant plusieurs années comme enseignante et conseillère pédagogique avant de porter le chapeau de chercheuse, l’importance qu’elle accorde à la collaboration avec les milieux pratiques au sein de ses recherches est indéniable. La quantité et qualité des ressources vulgarisées qu’elle développe en équipe à partir de ses travaux de recherche à l’intention des milieux pratiques en est la preuve. Au programme : parlons de transfert des connaissances auprès des milieux pratiques.

Vous êtes la preuve vivante qu’une personne chercheuse peut autant être prolifique en termes de contributions scientifiques que de contributions en transfert des connaissances auprès des milieux professionnels pratiques. Que représente, pour vous, le rôle de chercheuse ? Quelle est la mission que vous poursuivez en occupant ce rôle ?

Line Massé : D’abord, le rôle de chercheur et chercheuse, peu importe le domaine, est de contribuer à l’avancement des connaissances. En ce qui me concerne, si ta contribution à l’avancement des connaissances ne permet pas d’améliorer le bien-être de la société, ça n’a pas de sens. Dès l’adolescence, je rêvais de devenir professeure à l’université. Cependant, je ne voulais pas être prise dans une tour d’ivoire. Ce que je veux dire c’est que produire des connaissances que seulement quelques personnes chercheuses liraient ne m’intéressait pas du tout. Écrire dans des revues à gros facteur d’impact non plus. Ce qui me préoccupait était de trouver une manière de réellement améliorer le bien-être et la réussite des jeunes. C’était ça ma mission!

Vous avez développé, avec votre équipe, un nombre impressionnant de ressources et d’outils à l’intention des communautés pratiques liées, notamment, à l’éducation et à la psychoéducation. D’où vient ce désir d’outiller, comme vous le faites, les milieux pratiques ? Et surtout, comment y parvenez-vous ?

Line Massé : Il faut savoir qu’avant de porter le chapeau de professeure-chercheuse, j’ai travaillé pendant plusieurs années sur le terrain en éducation, notamment, comme conseillère pédagogique afin de développer des programmes et des outils pour un centre de services scolaire. Cependant, je ne considérais pas avoir les connaissances nécessaires pour faire ça avec seulement mon baccalauréat en poche. J’ai donc décidé de poursuivre des études graduées afin que mon travail en développement puisse améliorer les pratiques d’intervention auprès des jeunes présentant une douance ou des difficultés d’adaptation et de comportement. Sans compter que je trouvais qu’il y avait vraiment un écart entre ce qui se faisait sur le terrain et ce que suggéraient les données probantes. Ça m’a fait me questionner sur le rôle de la recherche et l’importance des activités de transfert des connaissances. Si ça reste sur les tablettes, à quoi est-ce que ça sert? C’est vraiment de là d’où vient mon désir d’outiller les milieux pratiques.

Sur le comment faire, j’ai toujours tenté de maintenir un certain équilibre entre les différents types de publications, qu’elles soient scientifiques ou professionnelles par exemple. Pour y parvenir, la première clé de succès, c’est le travail d’équipe; le travail d’équipe avec des personnes chercheuses d’ici ou d’ailleurs. En plus de multiplier les occasions de publications, le travail d’équipe est très riche et créatif. Tu dois défendre ton point de vue et prendre en compte celui des autres. Tu apprends à composer avec plusieurs modèles théoriques. C’est vraiment super riche!

Aussi, j’y suis parvenue en tissant des partenariats avec les milieux pratiques. Tous mes projets de recherche se sont faits en collaboration avec de tels milieux. Ça a fait en sorte que mes projets de recherche comblaient autant les préoccupations des milieux que mes propres questionnements comme chercheuse. Il faut savoir que j’ai toujours réalisé des projets en suivant mes coups de cœur. Être professeure-chercheuse, c’est un job très prenant. Si tu n’éprouves pas de plaisir, tu n’iras pas loin dans ce métier-là. Aussi, tout au long de ma carrière, j’ai continué à accompagner des milieux pratiques en tant que personne-ressource. Par exemple, encore aujourd’hui, j’accompagne plusieurs centres de services scolaires pour développer des interventions destinées aux élèves doués. Cette implication renforce définitivement les liens de partenariat et le désir de ces milieux-là de faire de la recherche. C’est comme s’ils voyaient que les projets de recherche proposés ne sont pas déconnectés de leur réalité. C’est, au contraire, gagnant-gagnant.

Quels sont les conseils et les mises en garde que vous formuleriez à des personnes étudiantes qui envisagent une carrière en recherche sensible au transfert des connaissances dans les milieux pratiques ?

Line Massé : Cela étant dit, le premier conseil que j’aurais à donner à de jeunes scientifiques est d’établir une planification intégrée des différentes publications, et ce dès le début du projet. Il est important de prévoir comment les connaissances découlant du projet de recherche seront transférées. Par exemple, pour tout article scientifique publié, il peut être question de prévoir une communication professionnelle, un article de vulgarisation scientifique, ou encore, une infographie à publier sur les réseaux sociaux. Tout ça, ça se planifie.

Un deuxième conseil est de ne pas chercher à toujours être le premier auteur d’une publication scientifique. Ça, je sais que c’est difficile pour certains! Travailler en équipe implique de donner de la place à d’autres membres de l’équipe, que ce soit à des personnes chercheuses, étudiantes, assistantes de recherche ou partenaires. À mon sens, il est important que les personnes collaboratrices du projet de recherche sentent qu’elles ont leur place et qu’il s’agit également de leur projet. Sans compter qu’il me semble essentiel de reconnaitre le travail que les autres ont fait à l’égard d’un projet. C’est une question de respect envers l’autre et de travail d’équipe. De toute façon, si tu ne le reconnais pas, les gens n’auront pas envie de travailler avec toi et ça risque de créer beaucoup d’animosité.

Un troisième conseil est de réseauter auprès des organismes dédiés au transfert des connaissances. Ceux-ci peuvent être d’un grand soutien quand le temps est venu de valoriser les connaissances produites ou toutes sortes de projets qui visent le transfert des connaissances. C’est un « pensez-y bien »!

En ce qui concerne la première mise en garde que je soulèverais, c’est d’établir les attentes de collaboration le plus clairement possible, et ce autant avec les personnes chercheuses que les partenaires. Quels vont être les rôles et responsabilités de tout un chacun? À qui vont appartenir les données et la propriété intellectuelle des outils développés? Quel va être l’ordre des auteurs dans les publications? Qu’est-ce que le projet implique pour les milieux pratiques comme ressources? Bref, il ne faut pas tenir pour acquis que les projets de recherche-action vont se dérouler d’une certaine manière avec les personnes chercheuses ou issues du milieu pratique. Par exemple, il y a des personnes chercheuses qui veulent que ce soit toujours leur nom qui apparaisse en premier dans les publications, même si elles n’ont pas effectué le travail conséquent. Ça, ce n’est pas normal. L’absence d’attentes bien définies d’emblée peut entrainer des conflits et des déceptions de part et d’autre qui auraient pu être évités. 

Une deuxième mise en garde cible la place qui doit être conservée à la partie recherche dans un projet de recherche-action ou de recherche-développement. Très souvent, les milieux pratiques sont intéressés par la réponse à leurs besoins ou le produit développé. Il arrive donc qu’ils ne se préoccupent pas du tout du volet recherche ou de la rigueur que cela nécessite. C’est important alors de les sensibiliser à l’importance de la démarche scientifique. Après tout, cette implication de leur part est tributaire à celle de la personne chercheuse. 

Une dernière mise en garde est celle d’apprendre à dire non! Lorsque les milieux pratiques avec lesquels nous collaborons ont des expériences positives au regard de la recherche-développement, ils peuvent devenir très gourmands et vouloir nous impliquer sur plusieurs autres projets même s’ils n’ont aucun rapport avec la recherche. Cependant, notre participation ne peut pas perdurer. C’est important de mettre des limites, puisqu’autrement on peut rapidement devenir un super bon conseiller pédagogique pour eux. Cependant, ce n’est pas notre rôle!

Par ailleurs, il arrive qu’il y ait une confusion en ce qui concerne l’implication que nécessite un projet de recherche-développement de la part du milieu pratique. Si c’est la personne chercheuse qui propose au milieu un projet, il est normal que ce soit son équipe qui porte une plus grande charge de travail. Cependant, s’il s’agit du milieu pratique qui sonde une équipe de recherche par rapport à un tel projet, il serait normal que leur implication soit conséquente puisque la personne chercheuse est là en soutien. Il est important de faire cette distinction et d’afficher ses limites, puisque quand tu commences ce type de projet de recherche, cela peut devenir très exigeant en terme de temps.

Quel impact souhaiteriez-vous laisser en tant que chercheuse ?

Line Massé : Pour l’avancement des connaissances, je considère que ma contribution en tant que chercheuse représente seulement une goutte d’eau dans l’océan scientifique. Sans compter que pour plusieurs, la valeur des publications de plus de 10 ans chute drastiquement. Pourtant, la pertinence scientifique de certains travaux est toujours là même s’ils remontent à plus de 10 ans. Ça peut alors amener certaines personnes chercheuses à tenter de réinventer la roue alors qu’elles n’ont pas totalement conscience de ce qui a été fait avant. Ceci est un gros danger.

Là où je pense que j’aurai le plus grand impact, c’est auprès de mes étudiant·e·s. J’aimerais leur avoir donné un modèle où il est possible de faire de la recherche pour le vrai monde, qui n’est pas déconnectée de la réalité, qui est collaborative, non pas complétive, qui sert à faire avancer la compréhension des problématiques, et surtout, qui leur donne le gout d’en faire. 

Quant aux milieux pratiques, je vais avoir contribué à une meilleure compréhension de certaines problématiques entourant les élèves présentant une douance ou des difficultés d’adaptation et de comportements. Ma plus grande fierté est d’avoir participé au développement et à la validation d’outils, basés sur les données probantes, qui sont utiles et utilisées par les milieux pratiques pour comprendre et mieux intervenir auprès de ces jeunes-là. 

Découvre l'autrice

Juliette François-Sévigny

Juliette est candidate au doctorat en psychologie au cheminement en intervention en enfance et adolescence à l’Université de Sherbrooke. Elle s’intéresse particulièrement à la réalité des parents ayant des enfants doublement exceptionnels. Dans ses temps libres, elle adore écouter des podcasts de tout genre, découvrir de nouveaux livres et marcher dans les magnifiques rues de Montréal.

(Visited 1 times, 1 visits today)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *