L’adage « coûter un bras » ou plutôt, dans le cas présent, un doigt ou un orteil, n’aura jamais été aussi concret qu’en parlant de gelures ! Le climat canadien peut mettre à rude épreuve la santé des personnes amatrices de sports hivernaux comme la randonnée pédestre sur neige, le ski alpin ou la motoneige par un simple incident ou un manque de préparation adéquate. En effet, toute personne vivant dans un pays nordique comme le Canada et s’exposant au froid présente environ une chance sur deux de souffrir d’au moins un type de gelure au cours de sa vie! Il suffit d’une courte exposition directe de la peau à des températures inférieures à zéro degré Celsius pour provoquer des gelures2. Les traitements actuels des gelures sont restés inchangés depuis les années 1960. C’est là où l’iloprost pourrait moderniser le traitement, surtout en régions recluses.
Étude novatrice pour moderniser le traitement des gelures
L’équipe du Yukon dirigée par Dr Poole a étudié la prise en charge des gelures par l’iloprost d’après les constatations et utilisations européennes. Le but de leur étude ? Faciliter la prise en charge des gelures dans les hôpitaux ruraux comme l’Hôpital Général de Whitehorse. L’équipe médicale a développé un nouveau protocole en incluant l’iloprost comme traitement de première ligne pour les gelures simples à modérées tout en gardant le traitement usuel pour les cas sévères. En général, celle-ci a pu remarquer une meilleure rapidité dans la prise en charge des patient·e·s arrivant avec des gelures se résultant en une diminution du nombre d’amputations. Il n’y avait pas de majeures complications avec l’utilisation de l’iloprost hormis les maux de tête qui s’avéraient fréquents touchant 50% des patient·e·s. À l’opposé, le traitement usuel présente moins fréquemment des effets secondaires, mais d’une intensité plus grave lorsqu’ils sont présents.
Sur les traces de ce médicament
L’iloprost est un puissant vasodilatateur*, soit un médicament permettant de dilater un vaisseau sanguin pour permettre une meilleure circulation sanguine. Ainsi, il est majoritairement utilisé pour des maladies affectant les vaisseaux sanguins. Ce médicament empêche les cellules du sang comme les plaquettes de se coller et de former un caillot. De plus, il favorise le bris de caillots sanguins qui pourraient se trouver sur son passage. Ces deux caractéristiques en font donc de lui un très bon médicament pour empêcher les vaisseaux sanguins de bloquer le passage du sang aux extrémités et de former des caillots, soit deux phénomènes se produisant lors de gelures. L’iloprost présente aussi plusieurs avantages. Son administration sous forme d’injection intraveineuse rend ce médicament plus simple à préparer et à réaliser dans les hôpitaux régionaux qui n’ont pas accès à toutes les infrastructures ou ressources d’un grand centre. Toutefois, le plus grand défaut de l’iloprost est qu’actuellement, il n’est pas disponible commercialement sous forme intraveineuse au Canada ni aux États-Unis. Les écrits scientifiques constatent des progrès dans les traitements des gelures à l’étranger avec cette molécule, ce qui est très encourageant à ajouter à l’arsenal thérapeutique canadien.
Le paradoxe des gelures
Un paradoxe existe en médecine en ce qui concerne la prise en charge des gelures dans une majorité des régions rurales. Au Canada, les régions éloignées n’ont pas accès aux mêmes ressources médicales que les centres urbains. Par exemple, ils ne possèdent pas tous les traitements de base pour les gelures nécessitant alors des transferts aériens. Cela ajoute un désagrément supplémentaire pour le ou la patient·e tout en retardant l’administration du traitement et par le fait même, réduisant les chances de survie de son membre atteint. Aussi, ces hôpitaux régionaux se situent souvent au nord du pays, soit à des endroits où les températures sont plus glaciales, par exemple, en atteignant au Yukon jusqu’à – 40°C de novembre à avril. La population vivant sur ces territoires nordiques est plus à risque de souffrir de gelures. Ainsi, une population éloignée à plus grands risques de gelures ne dispose pas du traitement le plus performant sur place pour traiter les gelures graves. Ces hôpitaux éloignés devraient être munis de médicaments qu’ils pourraient administrer facilement, localement et rapidement. En effet, la diminution des amputations passe avant tout par la rapidité de la prise en charge adéquate.
Une nouvelle gelure ? Course contre la montre pour la traiter !
Lors du traitement des gelures, le temps est crucial. Plus le temps entre le début de la gelure et le début d’administration du médicament est court, plus les chances de survie du membre atteint sont élevées. Présentement, la prise en charge immédiate comprend le réchauffement rapide, les procédures pour retirer les tissus morts, l’application d’Aloe Vera et l’installation de pansements secs. Lors de gelures plus sévères, l’injection médicamenteuse est la seule façon de rétablir le flot sanguin et prévenir l’amputation.
Les tout premiers résultats découverts dans un hôpital rural du Canada s’avèrent très prometteurs pour la prise en charge rapide des cas admis pour gelures. En effet, les traitements standards qui nécessitent une surveillance étroite sont plus difficilement administrés dans les hôpitaux de région. L’iloprost semble donc une belle option thérapeutique accessible pour ces milieux. Avec un nombre grandissant d’hôpitaux qui adopteraient ce traitement au fil des ans, le potentiel d’observer une modernisation de la prise en charge des gelures et donc, de réduire le nombre d’amputations est à nos portes!
Lexique
Gelures : Lésions tissulaires dues à l’exposition au froid avec une température sous les 0 degré Celsius.
Iloprost : Agents qui dilate les vaisseaux sanguins, empêche la formation de caillot et permet de briser les caillots sanguins déjà formés.
Vasodilatation : Par opposition à la vasoconstriction, phénomène de dilatation des vaisseaux sanguins, permettant un meilleur passage du sang.
Références
- Torres, E. & Royer, E. (2001). Les gelures en montagne… ou ailleurs. Les Dossiers du généraliste, Numéro 2090.
- Schreiber, J. (2016). L’hypothermie et les gelures. Le Médecin du Québec, Volume 51, numéro 9.
Découvre l'autrice
Éolie Delisle
Éolie est étudiante au doctorat de médecine de l'Université de Montréal et arrime autant la recherche, ses implications associatives que ses stages en milieu clinique. Elle s'intéresse grandement à l'éducation et à la vulgarisation scientifique depuis le début de son parcours en s'impliquant dans divers programmes de sensibilisation et communication sur la santé sexuelle et le bien-être numérique auprès des jeunes. Vous pourrez toujours la trouver soit sur un terrain de golf lors de belles journées comme elle est athlète Carabins dans ce sport ou en train de passer du bon temps bien entouré de ses proches.