Pourquoi les élèves font toujours les mêmes erreurs ?

Élizabeth Bélanger

Étudiante à la maîtrise en éducation

Pourquoi les élèves font toujours les mêmes erreurs ?

Élizabeth Bélanger

Étudiante à la maîtrise en éducation

Les erreurs « niaiseuses » qui font perdre de précieux points dans un examen, vous connaissez ? Souvent, des automatismes bien ancrés ou des stratégies intuitives sont la source des erreurs fréquentes. Un processus qui joue un rôle clé dans les apprentissages est le contrôle inhibiteur. Celui-ci permet à l’élève de résister à des stratégies intuitives, à des automatismes et à des pièges pour mobiliser des stratégies plus logiques(1, 2, 3). Certaines interventions pédagogiques peuvent être mises en place par les enseignant·e·s afin d’aider leurs élèves à mobiliser leur contrôle inhibiteur et ainsi surmonter leurs erreurs fréquentes(2, 3).

En recevant leur copie d’examen, combien se sont déjà dit : « Oh non, je le savais ! » Que ce soit au primaire, au secondaire ou même à l’université, tous et toutes se rappelleront avoir commis des erreurs qui portent sur des notions pourtant élémentaires. En fait, certaines erreurs ont tendance à être récurrentes et à persister parfois même jusqu’à l’âge adulte1, 2. Par exemple, à l’écrit, des personnes de tous âges font cette erreur4 : « Je les aimes ». Ajouter un « s » au mot qui suit « les » est un automatisme fortement ancré et il est difficile d’y résister4. Face à un problème du type « Simon a 25 billes. Il en a 5 de plus que Julia. Combien Julia a de billes ? », plusieurs personnes auront tendance à répondre 30 au lieu de 20, et ce, quel que soit leur niveau d’expertise en mathématiques5, 6. Ici, ce sont les mots « de plus » qui mènent spontanément l’élève qui doit résoudre le problème à additionner. Pourtant, dans certains contextes, il faut résister à cette stratégie intuitive5, 6. Les erreurs dans lesquelles un automatisme ou une stratégie intuitive entrent en jeu touchent toutes les disciplines scolaires3, et pour cause : les automatismes sont très nombreux et souvent utiles7. Cependant, dans certains cas, ceux-ci mènent à commettre des erreurs qui ne sont pas forcément liées à un manque de connaissances de la part de l’élève. Ce type d’erreur serait plutôt causé par un processus cognitif qui joue un rôle central dans les apprentissages et le raisonnement, mais qui demeure relativement peu connu en éducation : le contrôle inhibiteur, aussi appelé inhibition1, 2.

Dans le langage courant, « l’inhibition » est souvent perçue comme une drôle d’appellation qui peut faire référence à toutes sortes de réalités. En fait, le contrôle inhibiteur* est l’une des principales fonctions exécutives*8, 9. Nous pouvons le décrire comme étant un processus cognitif qui permet de résister aux automatismes, aux stratégies intuitives et aux pièges1, 2 qui interfèrent avec les connaissances que l’élève doit mobiliser en fonction du contexte10. Le contrôle inhibiteur joue un rôle central dans plusieurs apprentissages scolaires fondamentaux, comme les sciences11, 12, 13, la lecture14, la résolution de problèmes5, 6, les mathématiques15, 16 et l’orthographe17.

Le lièvre et la tortue

Des recherches récentes utilisant des technologies comme l’imagerie cérébrale appuient une théorie, répandue depuis plusieurs années7, 18, à l’effet que deux systèmes de pensée peuvent coexister chez une même personne1, 2, 7, 18, 19. Le premier système de pensée est plus intuitif, rapide et automatisé18, 19. C’est ce système de pensée qui est utilisé spontanément lorsque nous devons raisonner dans notre quotidien; celui-ci est d’ailleurs assez efficace et nous fait souvent prendre de bonnes décisions. Pour être fonctionnel dans la vie quotidienne, il faut pouvoir raisonner intuitivement et rapidement7; autrement, chaque décision que nous prenons serait totalement épuisante7 ! Par ailleurs, le fait que ce système de pensée soit souvent efficace contribue à le renforcer. Ainsi, les réseaux de neurones qui sous-tendent les automatismes et les intuitions ont tendance à devenir robustes20 et, conséquemment, à s’activer encore plus spontanément, ce qui a comme inconvénient de mener à des erreurs dans certains contextes1, 2, 3.

Le deuxième système de pensée est plus logique1, 2, 7. Son utilisation demande un effort cognitif plus important, mais mène à une réponse appropriée et adaptée au contexte1, 10. Pour accéder à ce deuxième système de pensée, le contrôle inhibiteur doit intervenir pour permettre à l’individu de résister au premier système de pensée qui a tendance à s’activer automatiquement1, 7. D’une certaine façon, le contrôle inhibiteur est comme un arbitre : il permet de résister aux nombreux automatismes pour sélectionner et mobiliser une réponse plus adaptée au contexte, mais dont l’utilisation est moins spontanée1, 2. Dans certains contextes, même les experts peuvent avoir besoin d’inhiber certaines intuitions6, 21. Autrement dit, il semble que ni l’expertise ni l’éducation ne parviennent à éradiquer les automatismes, car ceux-ci sont trop fortement ancrés21. Ainsi, le contrôle inhibiteur joue un rôle essentiel dans le raisonnement, l’apprentissage et, par extension, la réussite scolaire2, 3 puisque ce processus permet d’outrepasser ses pensées intuitives.

Apprendre à résister

Une question intéressante à adresser comme enseignant consiste à savoir s’il est possible d’aider les élèves à mobiliser davantage leur contrôle inhibiteur afin de mieux résister à leurs automatismes et à leurs intuitions2, 3. Malheureusement, la réponse n’est pas si claire à ce jour. D’abord, il semble qu’il ne soit pas possible d’augmenter l’efficacité générale de son contrôle inhibiteur22, 23. Une piste de solution plus prometteuse consisterait à aider les élèves à s’améliorer dans un contexte précis ou dans une tâche spécifique qui requiert du contrôle inhibiteur23, 24. En ce sens, entrainer les élèves à identifier eux-mêmes ou elles-mêmes les pièges semble donner des résultats intéressants25, 26. À titre d’exemple, une étude menée auprès d’enfants du préscolaire a montré qu’un entrainement au moyen d’un dispositif appelé l’attrape-piège avait un impact positif sur l’apprentissage du comptage, comparativement à l’enseignement régulier26. Également, des alertes émises par l’enseignant·e, du type : « Attention, il y a un piège ! Vous devez y résister… », semblent donner des résultats prometteurs, car elles augmentent la vigilance cognitive de l’élève27. Les recherches des prochaines années pourront sans doute proposer d’autres pistes d’intervention.

Bien que certains aspects de la cognition humaine qui sous-tendent les apprentissages demeurent méconnus à ce jour, les connaissances actuelles concernant le contrôle inhibiteur et, plus largement, les fonctions exécutives, gagneraient à être diffusées davantage auprès des enseignant·e·s. Les pistes d’intervention pédagogiques issues de recherches multidisciplinaires sont assurément pertinentes, d’une part, pour améliorer l’enseignement des notions pour lesquelles des automatismes interfèrent avec les notions à acquérir et, d’autre part, pour favoriser l’apprentissage et la réussite2, 3, 26, 27.

Lexique

Fonctions exécutives : Ensemble de processus de contrôle de haut niveau qui régulent les pensées et les comportements d’une personne pour atteindre un objectif8, 9.

Contrôle inhibiteur : Une des principales fonctions exécutives8, 9 qui implique la capacité de contrôler ses pensées et ses comportements. Plus spécifiquement, le contrôle inhibiteur est la capacité de résister aux réponses mentales ou motrices dominantes, habituelles, automatiques ou intuitives1, 2, 9. Ce faisant, il permet la sélection de réponses alternatives, plus logiques et plus adaptées au contexte, même si celles-ci sont moins automatiques1, 2, 10.

Références

1. Houdé, O. et Borst, G. (2015). Evidence for an inhibitory-control theory of the reasoning brain. Frontiers in Human Neuroscience, 9, 148. 

2. Houdé, O. (2014). Apprendre à résister. Le Pommier.

3. Borst, G. (2020). Apprendre à résister aux automatismes de pensée. Administration Éducation168(4), 85-91. 

4. Lanoë, C., Vidal, J., Lubin, A., Houdé, O. et Borst, G. (2016). Inhibitory control is needed to overcome written verb inflection errors: Evidence from a developmental negative priming study. Cognitive Development, 37, 18‑27. 

5. Lubin, A., Vidal, J., Lanoë, C., Houdé, O. et Borst, G. (2013). Inhibitory control is needed for the resolution of arithmetic word problems: A developmental negative priming study. Journal of Educational Psychology, 105(3), 701‑708. 

6. Lubin, A., Rossi, S., Lanoë, C., Vidal, J., Houdé, O. et Borst, G. (2016). Expertise, inhibitory control and arithmetic word problems: A negative priming study in mathematics experts. Learning and Instruction45, 40-48. 

7. Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. Macmillan.

8. Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual Review of Psychology, 64(1), 135-168. 

9. Miyake, A. et Friedman, N. P. (2012). The nature and organization of individual differences in executive functions: Four general conclusions. Current Directions in Psychological Science, 21(1), 8‑14. 

10. Mostofsky, S. H. et Simmonds, D. J. (2008). Response inhibition and response selection: Two sides of the same coin. Journal of Cognitive Neuroscience, 20(5), 751-761. 

11. Shtulman, A. et Valcarcel, J. (2012). Scientific knowledge suppresses but does not supplant earlier intuitions. Cognition, 124(2), 209-215. 

12. Potvin, P. et Cyr, G. (2017). Toward a durable prevalence of scientific conceptions: Tracking the effects of two interfering misconceptions about buoyancy from preschoolers to science teachers. Journal of Research in Science Teaching, 54(9), 1121-1142. 

13. Babai, R. et Amsterdamer, A. (2008). The persistence of solid and liquid naive conceptions: A reaction time study. Journal of Science Education and Technology, 17(6), 553-559. 

14. Brault Foisy, L.-M., Ahr, E., Masson, S., Houdé, O. et Borst, G. (2017). Is inhibitory control involved in discriminating pseudowords that contain the reversible letters b and d? Journal of Experimental Child Psychology, 162, 259-267. 

15. Roell, M., Viarouge, A., Houdé, O. et Borst, G. (2019). Inhibition of the whole number bias in decimal number comparison: A developmental negative priming study. Journal of Experimental Child Psychology, 177, 240-247. 

16. Obersteiner, A., Van Dooren, W., Van Hoof, J. et Verschaffel, L. (2013). The natural number bias and magnitude representation in fraction comparison by expert mathematicians. Learning and Instruction, 28, 64-72. 

17. Lubin, A., Lanoë, C., Pineau, A. et Rossi, S. (2012). Apprendre à inhiber: une pédagogie innovante au service des apprentissages scolaires fondamentaux (mathématiques et orthographe) chez des élèves de 6 à 11 ans. Neuroeducation, 1(1), 55‑84. 

18. Kahneman, D., Slovic, P. et Tversky, A. (dir.). (1982). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Cambridge University Press. 

19. Bago, B. et De Neys, W. (2017). Fast logic?: Examining the time course assumption of dual process theory. Cognition, 158, 90‑109. 

20. Masson, S. et Brault Foisy, L.-M. (2014). Fundamental concepts bridging education and the brain. McGill Journal of Education, 49(2), 501-512. 

21. Allaire-Duquette, G., Brault Foisy, L.-M., Potvin, P., Riopel, M., Larose, M. et Masson, S. (2021). An fMRI study of scientists with a Ph.D. in physics confronted with naive ideas in science. NPJ Science of Learning, 6(1), 11. 

22. Baker, E. R., Liu, Q. et Huang, R. (2019). A view from the start: A review of inhibitory control training in early childhood. Dans S. Palermo et M. Bartoli (dir.), Inhibitory control training: A multidisciplinary approach (p. 1-14). IntechOpen.

23. Diamond, A. et Ling, D. S. (2016). Conclusions about interventions, programs, and approaches for improving executive functions that appear justified and those that, despite much hype, do not. Developmental cognitive neuroscience18, 34-48. 

24. Wilkinson, H. R., Smid, C., Morris, S., Farran, E. K., Dumontheil, I., Mayer, S., et Thomas, M. S. C. (2019). Domain-specific inhibitory control training to improve children’s learning of counterintuitive concepts in mathematics and science. Journal of Cognitive Enhancement, 4, 296-314 

25. Houdé, O., Zago, L., Mellet, E., Moutier, S., Pineau, A., Mazoyer, B. et Tzourio-Mazoyer, N. (2000). Shifting from the perceptual brain to the logical brain: The neural impact of cognitive inhibition training. Journal of Cognitive Neuroscience, 12(5), 721-728. 

26. Deshaies, I., Miron, J.-M. et Masson, S. (2020). Effets d’une intervention pédagogique visant l’apprentissage du contrôle inhibiteur sur le développement de prérequis liés à l’arithmétique chez les élèves du préscolaire âgés de 5 ans. Neuroéducation, 6(1), 49-64. 

27. Babai, R., Shalev, E. et Stavy, R. (2015). A warning intervention improves students’ ability to overcome intuitive interference. ZDM Mathematics Education, 47(5), 735-745.

Découvre l'autrice

Élizabeth Bélanger

Élisabeth Bélanger est enseignante au préscolaire et au primaire et étudiante à la maîtrise en éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa pratique enseignante l’a amenée à s’intéresser aux processus cognitifs impliqués dans les apprentissages réputés difficiles, ainsi qu’aux rôles des fonctions exécutives dans la réussite éducative. Élisabeth est également superviseure de stages à l’UQAM ; elle accompagne les futur·e·s enseignant·e·s dans le développement de leurs compétences professionnelles.

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1 Comment

  1. Louise Chagnon dit :

    Bravo Elisabeth! Texte clair, riche et très intéressant. Tu contribueras à favoriser des apprentissages et de belles stratégies chez les enseignantes. Quel beau rôle!
    Au plaisir,

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